Les hommes à terre
- Par hervegautier
- Le 02/02/2017
- Dans Bernard GIRAUDEAU
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La Feuille Volante n° 1107
LES HOMMES A TERRE –Bernard Giraudeau - Métaillé
L'univers de la nouvelle est particulier et le fil d'Ariane est parfois difficile à trouver pour l'écrivain comme pour le lecteur. Ici c'est la mer, le voyage, l’éternelle errance des hommes incapables de se fixer quelque part. « Il y a les vivants, les morts et les marins », ceux qui ont épousé la mer et elle seule parce qu'un jour ils l'ont prise et par un incompréhensible mystère, elle ne les a jamais lâchés, et ce, même si leur vie en dépend, même s'ils doivent la lui offrir. « Un marin à terre est un marin perdu » dit-il, sans doute parce ses rêves de voyages et d'infini ne pourront jamais être épuisés, parce que le monde est vaste, la vie sans fin et la soif d'aventures inextinguible. Ici, j'ai retrouvé avec plaisir l'ambiance que j'apprécie depuis que j'ai ouvert un peu par hasard son premier roman. Je ne suis pas un voyageur mais j'aime voguer sur le dos de ses mots à lui, comme je le ferais sur la mer, cet océan qui venait se lover entre les tours de La Rochelle. J'aime retrouver des paysages familiers et découvrir des contrées que je n'ai jamais vues, c'est comme si je les connaissais depuis toujours, comme si j'avais croisé tous les personnages à qui il a donné vie. Il manie les mots avec aisance et je me dis que si la mort ne l'avait pas fauché trop tôt il serait devenu un grand écrivain qui sans doute puisait son talent dans cette blanche écume des vagues qui coulent dans les veines de chaque Rochelais. S'il fut un grand acteur, il ne fut pas moins un exceptionnel romancier, un témoin sans fard de sa vie parfois aventureuse, de son combat contre la maladie . Il n'empêche, j'aime ses mots quand il décrit un paysage et quand il parle de la beauté des femmes. J'aime ces images d'enfance dans le Marais où croissent les anguilles et leurs rêves de Sargasses et ses évocations de La Rochelle, des voyages au long cours ou des campagnes de pêche. Ceux dont il a choisi de parler ce ne sont pas les officiers de la Royale aux beaux informes, avec médailles, plan de carrière, pension de retraite et emplois réservés mais les matelots perdus et désespérés avec, pour seul horizon, l'escale avec ses borées et ses bordels, de ceux qui s'embarquent sur des coques rouillées, oubliées des armateurs véreux et promises au naufrage, de ceux qui terminent leur vie au fond de la mer ou dans la crasse des ports, avec pour seules compagnes des putes et de l'alcool. Chaque homme à son histoire, celle des marins est souvent faite de naufrages et de cuites dans les bars louches et les amours tarifés. Son écriture est parfois crue mais il y a un souffle, une âme, la vie. Plus tard, une fois le sac à terre, il a été un terrien mais il a choisi de porter témoignage d'une page tournée, il est resté cet orphelin du voyage, de l'ailleurs, cet être incapable de se fixer, de tresser autre chose que des horizons de bastingages, de houles et de tempêtes, avec un peu de ce tangage qu'il quête au bord du corps des femmes. Ses évocations sont toujours pleines de sensibilité et de réalisme, servie par des descriptions poétiques et des introspections faites d'humanité et de nuances.
Dans « Indochine » il parle d'une rencontre entre un père et son fils, de cette tranche de vie paternelle oubliée ou peut-être cachées pour faire prévaloir la famille et peut-être la moralité avec cette hypocrisie ordinaire qui pourtant ne change rien à la réalité et au passé. J'ai goûté cette « histoire simple », une histoire de marin égaré sur la terre, écrite avec ce souffle. Avec « Billy », ce n'est plus vraiment dans la mer et les vagues qu'il puise son talent mais dans son parcours de marin à pompon rouge et çà col bleu, dans les bars louches et les bordels des ports où le maquillage des femmes cache mal leur métier et leur désespoir. Des mots crus de bourlingueurs et de matelot ivres mais ça a au moins l'avantage d'être authentique loin de l'hypocrisie des petites bourgeoises qui ne cherchent qu'à s’encanailler, mais surtout une histoire à la fois cruelle et émouvante. « Diego l'Angolais » nous emmène à Lisbonne, avec le fado, la saudade, là on l'on parle toutes les langues et on lit Pessoa même dans les effluves de mazout.. Jeanne aussi a droit à l'attention de l'écrivain parce que sa trace est encore chaude. Une belle écriture pour un exceptionnel moment de lecture.
© Hervé GAUTIER – Février 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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