Vers la violence
- Par hervegautier
- Le 19/09/2022
- Dans Blandine Rinkel
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N°1674– Septembre 2022
Vers la violence – Blandine Rinkel – Fayard.
C’est un roman décliné par Lou, la narratrice, qui, petite, a idéalisé Gérard, son père au point de vouloir l’épouser malgré leur différence d’âge (38 ans). Ce dernier s’est remarié avec Annie et leur fille est en quelque sorte une enfant de vieux. Elle voua à cet homme pour qui elle fut la seule femme qui compta dans sa vie, une admiration sans borne que sa qualité de policier avec uniforme et arme, rendait plus grande encore. Certes, au début, il y a eu entre eux une complicité et Gérard, qui n’est sans doute jamais entré lui-même dans l’âge adulte, a choisi de demeurer dans le merveilleux de l’enfance de sa fille et dans le culte du secret, maintenant l’enfant dans une sorte de bulle face une mère quasiment inexistante tout en souhaitant endurcir Lou pour qu’elle affronte la vie. C’est pourtant lui, cet homme ambivalent, qui choisit de rompre ce secret en la faisant sortir de l’enfance et de révéler à sa fille son vrai visage, brisant lui-même cette statue qu’il avait pourtant si patiemment modelée. Les années passant, elle a découvert un homme bien différent, à la fois mystérieux, faible, volage, violent (mais pas avec elle), frustré, mythomane, occasionnellement alcoolique et au comportement parfois étrange, alternativement gamin et sérieux et qui a du mal à s’abstraire de sa « vie d’avant » faite de souvenirs jalousement entretenus, de regrets, de mensonges et de deuils insurmontables. C’est bien la mort qui l’obsède malgré une appétence apparente pour la vie, aussi bien celle de ses enfants que celle d’un cheval, ce qui génère chez lui une culpabilité d’être encore en vie après le décès de ses enfants et d’avoir été lâche face à la souffrance de ce pauvre animal. Pourtant cette connivence ne lui suffit pas et la complicité qui existait entre eux n’ira pas jusqu’à un don familial d’organe qui aurait pu sauver Gérard. En revanche, le stylo qu’il lui offre et les notes qu’il lui laisse pour qu’elle rédige sa biographie suscitent cette volonté de s’expliquer, de s’excuser peut-être face à elle. C’est pourtant ce stylo qui lui sert à lui écrire l’unique lettre quelle lui a jamais adressée et dans laquelle elle règle ses comptes avec lui, pour ses faiblesses, les bons et mauvais souvenirs, ses violences surtout. Elle y disserte longuement du cheval, opposant sa viande dont Gérard et friand et sa vie et sa beauté qui la fascinent. Elle y confesse surtout que, refusant de sauver son père par le don d’un de ses reins, elle ne fait qu’appliquer cette notion de cruauté et de violence qu’il lui a inculquée
C’est aussi le portrait de la narratrice qui décline son parcours cahoteux entre les déconvenues inspirées par la découverte du père, les premiers émois amoureux de l’adolescence, la recherche de soi-même à travers le difficile art de la danse mais aussi de sa volonté d’être un objet de désir pour les hommes, la quête du plaisir sexuel notamment dans le « jeu du foulard », c’est à dire le jouissance obtenue en jouant avec la violence de l’étranglement et la mort possible, mais aussi en suscitant la séduction des mâles, la lutte qu’elle voulait mener et gagner contre eux pour qu’ils connaissent la frustration de leur libido inassouvie à cause de sa disparition subite et inexpliquée, ce qui est une autre forme de violence. Il y a chez elle une perversité qui la fait ressembler à ce père qu’elle désirait quitter en fuyant la cellule familiale. Sa relation avec Raphaël, l’exact contraire de Gérard, son entrée de plain-pied dans cette vie artistique et créatrice, tourne une page définitive dans sa vie d’adulte avec sa relation fusionnelle avec lui.
La mort revient comme un leitmotiv dans ce roman, celle des enfants et de la première épouse de Gérard, celle qui peut intervenir lors d’un étranglement, celle enfin de Gérard à qui Lou refuse son rein qui aurait pu le sauver.
C’est une sorte d’évocation alternée entre Lou et Gérard dont les relations un temps complices se résoudront à un long silence, un livre en deux parties consacrées à l’un et à l’autre, la première baignée par la relation père-fille, la seconde plus volontiers consacrée à Lou, à son départ de la cellule familiale, à sa recherche du père à travers des amants de passage autant qu’une découverte de soi-même, avec la rencontre de Raphaël, exact contraire de Gérard, avec en contrepoint le plaisir sexuel obtenu avec cette violence constamment recherchée et refoulée et la mort, véritable thème central de ce roman.
Ce que je retiens, entre autre, c’est cette volonté de Gérard de se poser, de bonne foi, en exemple pour sa fille, avec la certitude qu’il le fait pour son bien et la manière différente dont Lou le reçoit parce que sa sensibilité est différente. C’est sans doute l’éternel problème de l’éducation des enfants que les parents mènent en fonction de l’exemple qu’ils ont eux-même reçu, en croyant bien faire, mais qui se brise sur la différence qui existent entre les êtres et sur les temps qui changent.
Courts chapitres d’une écriture alternativement fluide et abrupte et une histoire qui au fur et à mesure des pages suscite l’intérêt malgré quelques longueurs.
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