la feuille volante

Boris Vian

Boris Vian – Jacques Bens Bordas.

 

Dans cette étude, Jacques Bens (1931-2001), qui était aussi écrivain, savait combien l’enfance d’un auteur nourrit son œuvre et influence sa vie et dans le cas de Boris Vian cette remarque est particulièrement pertinente. On peut en effet, au rythme de ses romans, suivre ses rencontres, ses amours, ses fantasmes, ses obsessions, ses craintes, à condition bien sûr de faire abstraction de ses mises en scènes, de son humour parfois grinçant, de son langage si particulier issu de son imagination féconde et de sa perception des choses. Bens analyse les personnages, leur psychologie, leurs relations entre eux et par rapport aux autres dans chacune des œuvres où l’on les rencontre. On les découvre souvent solitaires, désespérés. A travers eux on découvre un Vian (et aussi Vernon Sullivan) pessimiste, victime de son enfance et de son éducation, souvent découragé alors qu’on s’attend sans doute à voir un bon vivant, un amoureux des femmes mais bien souvent misogyne, un gourmand de vie mais aussi un inquiet attiré par la mort. Mais le paradoxe ne s’arrête pas là. Quand on lit un de ses romans on a l’impression que le monde qu’il décrit est onirique et complètement décalé. A bien y réfléchir cependant, il apparaît qu’il n’est pas fondamentalement différent du nôtre.

On ne devient pas écrivain par hasard et les mots ne servent pas seulement à raconter une histoire mais parfois l’écriture a un effet cathartique. S’il n’avait été boudé par ses contemporains, habitués aux romans classiques ou ébranlés par la philosophie existentielle nouvellement révélée et bousculés par ce langage fantaisiste, ils auraient pu analyser les messages cachés derrière ce qu’ils ont pris pour un simple exercice de style et une certaine manière d’exercer le langage. Les thèmes évoqués par Boris sont à la fois symboliques et satiriques, le travail, l’amour, la mort, la religion, Dieu, la fatalité, le désespoir… mais aussi, à travers ses personnages qu’il place dans des situations marginales et parfois rocambolesques et Bens montre la méfiance voire le dégoût de Boris pour l’espèce humaine.

Vian a écrit la majorité de ses romans entre vingt six et trente ans sans pour autant rencontrer le succès ce qui explique sans doute ses déceptions et son inquiétude. Malgré des soutiens prestigieux (Queneau, Sartre...) il a surtout connu la trahison, l’indifférence voire la critique polémique, c’est à dire l’ordinaire de l’espèce humaine appliquée à l’art. Certes il y a eu les romans de Vernon Sullivan, à la fois pastiches et œuvres alimentaires, mais le scandale qu’ils soulevèrent l’irrita et l’emporta.

Il y a aussi eu Vian dans sa version germanopratine, une vie trépidante dans les caves, les café à la mode, sur un rythme de jazz et de trompette dont il devra pourtant arrêter de jouer pour raison de santé. Il y a eu le Collège de pataphysique, les autres romans, ceux de Vernon Sullivan, les pièces de théâtre qui, au sortir de la guerre ont eu un petit parfum scandaleux, parfois antimilitaristes, parfois énigmatiques, les traductions, les chroniques musicales sur le jazz, les chansons, les poèmes, les nouvelles, toute la richesse d’une œuvre que Jacques Bens développe et analyse avec une pertinence tès documentée, égrenant les idées reçues sur Boris, mettant le doigt sur ses contradictions, soulignant sa sensibilité.

Membre lui-même de l’Oulipo (L’ouvroir de littérature potentielle) dont l’un des buts est de découvrir les nouvelles potentialités de langage, Jacques Bens ne pouvait pas ne pas s’intéresser à l’écriture de notre génial auteur et le fait qu’il ait été également le gendre de Célestin Frenet, célèbre instituteur, père de la non moins célèbre méthode qui porte son nom, l’a sans doute amené à présenter les choses sous une forme pédagogique. Cette étude est une façon originale de revisiter l’œuvre et de mieux connaître son auteur, et donc une invitation à la découverte et à la lecture (ou la relecture) d’un écrivain qui, par son langage, par la révélation de son univers, par son style a, à sa manière, révolutionné la littérature française et l’a marquée de son empreinte.

(c)H.G.

 
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