L'ombre du vent - Carlos Ruiz Zafón
- Par hervegautier
- Le 01/11/2010
- Dans Carlos Ruiz Zafon
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N°470– Novembre 2010.
L'ombre du vent – Carlos Ruiz Zafón - Grasset.
(traduit de l'espagnol par François Maspero)
Le décor : Barcelone, ville mythique que la période de l'après-guerre civile rend plus énigmatique encore, le quotidien difficile pour le père de Daniel Sempere, le narrateur, garçon de onze ans au début du récit que son père, modeste libraire emmène dans un lieu mystérieux du quartier gothique : « le cimetière des livres oubliés ». L'enfant qui pense toujours à sa mère morte quelques années plus tôt est convié à un étrange rituel transmis de génération en génération. Il doit « adopter » un livre parmi des millions et son choix se porte sur « l'ombre du vent », un roman de Juliàn Carax, auteur parfaitement inconnu. Il le saura plus tard, ce volume est le seul survivant d'une édition qui a été détruite en grande partie par le feu. La possession de ce livre, que chacun souhaite lui racheter, va transformer sa vie. Il ne le sait pas encore mais cet épisode va le conduire dans une histoire rocambolesque où il va être amené à pénétrer les secrets de gens dont il ne soupçonnait même pas l'existence. Il va devenir le complice et même l'instrument d'une intrigue sans vraiment comprendre le rôle qu'il y joue. Son histoire, à travers destiné, amitiés, hasard, trahison, villa mystérieuse, se confondant avec celle de Juliàn Carax faisant de ce récit plus qu'une traditionnelle mise en abyme.
Qui était donc ce Carax, obscur auteur barcelonais qui a vécu à Paris au début de XX° siècle et qui jouait du piano dans un bordel de Pigalle ? Il s'appelait aussi Fortuny, était le fils d'un chapelier qui prétendait le contraire et d'une mère pianiste. Il serait mort à Barcelone en 1936 au tout début de la guerre civile, mais rien n'est sûr puisque le mystère qui a toujours fait partie de sa vie, enveloppe aussi sa mort. Les rares romans qu'il a publiés en France ont été un fiasco. Il se révèle être un personnage énigmatique autant que ce qui entoure la publication de ses livres, un individu étrange, qui vit dans le souvenir d'une femme inaccessible qu'il a aimée mais qu'il a perdue : Pénélope Aldaya. Entre eux c'est une histoire d'amour passionnée, de rendez-vous manqués, de projets contrariés, de fausses pistes, de courriers interceptés et finalement de séparation définitive.
Pourtant, dans sa quête d'informations à propos de Carax, Daniel est poursuivi par un homme assez étrange au visage défiguré par le feu, ce qui le fait assimiler au diable, Lian Courbet, qui souhaite lui racheter son livre et qui ressemble à s'y méprendre à un personnage de ce roman. Entre fiction et réalité, il finira peut-être par rejoindre les chapitres de cette histoire ? Je n'aurais garde d'oublier l'inspecteur Fumero, individu méprisable, flic de la pire espèce que la guerre civile et la franquisme qui la suivit permirent de révéler sa véritable personnalité, celle d'un traitre et d'un assassin. Il s'ensuit une sorte de course où la vie se mêle à la mort et au terme de laquelle Daniel se débarrasse de ce livre pour mieux le retrouver.
C'est pour le lecteur l'occasion de visiter cette ville extraordinaire chargée d'histoire, à la fois port ouvert sur le monde, berceau de la liberté et de la création artistique. Il découvre également une étonnante galerie de portraits dont Fermín Romero de Torres, ex-clochard, ex-agent secret, qui se distingue surtout par des aphorismes bien sentis, par une érudition immense et précise, une grande connaissance des femmes, une grande aptitude à se tirer des situations les plus étranges, une misanthropie militante en générale et un anti-franquisme en particulier. Le père de Daniel est lui plus philosophe et désireux de survivre dans cette ville hantée par la police, les indicateurs et les traitres de tout poil. C'est aussi pour Daniel, à travers une histoire mouvementée, une sorte de voyage initiatique à la découverte de l'amour mais aussi de la condition humaine, de ses grandeurs comme de ses travers, la rencontre d'hommes mais surtout de femmes pleines de charme, de mystère et parfois aussi d'érotisme, Nuria Montfort, Beatrice Aguilar, Pénélope Aldaya, Clara Barcelo, Bernarda...
C'est un roman labyrinthique, comme je les aime, entre personnages mystérieux et maison hantée, amours romantiques et destinés fatales, énigmatique aussi, où le suspense le dispute à une saga pleine de rebondissements. Le texte bien écrit, agréable à lire, avec des moments d'humour sertis dans des phrases finement ciselées et poétiques où le lecteur, tenu en haleine jusqu'à la fin, se perd avec plaisir.
Dans ce récit, Ruiz Zafon évoque un personnage qui, parlant d'un roman Carax, indique qu' un lecteur qui le découvrait pour la première fois avait cette irrésistible envie de lire le reste de son œuvre. C'est étonnant, mais il s'est passé la même chose pour moi et ce livre, lu presque d'un trait malgré une longueur peu commune (525 pages), ce qui d'ordinaire est en ce qui me concerne rédhibitoire, m'a passionné jusqu'à la dernière ligne. Il ne fait pas de doute que je vais continuer la lecture de cet auteur.
©Hervé GAUTIER – Novembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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