la feuille volante

Serge Gainsbourg

Avril 1991

n°56

 

NON, CE N’EST PAS UN ÉNIÈME HOMMAGE A GAINSBOUG. – (A propos de l’article republié le 6 mars 1991 dans « Le Canard Enchaîné », article daté du 12 novembre 1958 et signé Boris Vian).

 

La Feuille Volante n’est pas un journal Elle ne rend pas compte de l’actualité. Pourtant, je ferai une exception puisque la mort de Gainsbourg nous concerne tous. Le personnage ne laissait pas indifférent. On avait pour lui de la sympathie, du dégoût, mais on avait un avis ! Le Canard Enchaîné publie un article daté de 1958 consacré à Gainsbourg (il avait trente ans) et signé Boris Vian.

 

Qu’y avait-il de commun entre le « Satrape » du collège de Pataphysique et ce chanteur « unanimement flingué par la critique de l’époque » ? (Ils s’étaient peu connus, mais beaucoup appréciés). Peut-être le goût de la musique, de la poésie, de cette marginalité littéraire si opportunément cultivée qui fait dire que la réussite ne sera jamais vraiment au rendez-vous ? Tous les deux ont fait du cinéma, du spectacle et Gainsbourg, on le sait moins était aussi romancier. La provocation cachait chez ses deux personnages une sensibilité exacerbée qu’ils camouflaient mal derrière l’homme public. Ils jouaient avec la vie tout en sachant mieux que personne qu’elle est éphémère et qu’il convient de la brûler aussi complètement que possible. Tous les deux étaient des « touche à tout » de génie, morts singulièrement de la même façon, ayant peut-être choisi, à l’instar du comédien qui quitta la scène, de tirer à un moment précis leur révérence au public (« Quand je veux » dit un personnage de Boris Vian), ayant peut-être, au fond de la poitrine ce nénuphar de Chloé dans l’écume des jours qui se nourrit de sa propre souffrance. Oui, chacun jouait à se faire peur avec pour enjeu cette mort que bizarrement ils avaient prévue, parce qu’ils portaient en eux ce qu’ils savaient pouvoir les emporter (« Je n’atteindrai pas 40 ans » avait prophétisé Vian, comme s’il savait que chaque note sortie de sa trompette était une mesure de plus pour sa propre symphonie funèbre)

 

Chacun d’eux avait quelque chose de rabelaisien et il convenait de briser l’os des apparences pour atteindre la substantifique moelle de la sensibilité. Tous les deux ont connu cette soif, mais surtout ce mal de vivre qu’ils ont combattu par le tabac, l’alcool… mais qui a donné cette œuvre qui ne peut sortir que du bouillonnement intérieur d’un écorché vif.

 

Pourtant une chose les sépare peut-être, c’est l’hommage populaire, toutes générations confondues. La disparition de Gainsbourg arrache des larmes à l’adolescent comme au retraité qui ainsi se retrouvent dans la perte de quelqu’un qu’ils aimaient. Pour lui les fleurs, mais surtout, témoignage dérisoire ou clin d’œil du destin des paquets de Gitanes, des cigarettes brisées, des bouteilles de whisky, des gens qui restent devant un mur ou un cercueil, en silence ou en chanson, en se disant qu’il est parti trop tôt et ne veulent pas y croire. « Quand je serai refroidi, ce qui me gène le plus sera de faire pleurer mes enfants » disait Serge ; Il n’y a pas que ses enfants qui ont pleuré ou plutôt si, puisque grâce à lui c’était un peu le gamin frondeur et contestataire qui dort en chacun de nous qui se réveillait et redevenait pour un moment joueur de billes, pilleur de troncs ou passionnément amoureux comme l’était Boris.

 

C’est vrai, c’est à chaque fois la même chose « Quand il est mort le poète … ». Ce qui compte le plus c’est l’hommage des gens, de ceux qui ne l’ont connu qu’à travers la presse, la télévision où il était parfois absent, mais maintenant qu’il est mort, il ne scandalisera plus, on n’aura plus à redouter ses écarts de langage ou de conduite qui mettaient si mal à l’aise les animateurs BCBG. Gainsbourg et Vian ont bien connu dame Censure !

 

C’est vrai que Serge n’échappe pas à la tradition qui veut qu’on dise surtout du bien des morts, même si ces mêmes louanges sont restées au fond des gorges de son vivant ! Heureusement, les média qui peuvent enfin parler que quelqu’un qui intéresse (et fait monter les ventes et l’indice d’écoute) car la Guerre du Golfe a mis quelque peu en exergue la pauvreté de l’information ces derniers temps !

 

« Ce qui restera ce sont ses chansons, je les fredonnerai toujours ! » a dit une vieille dame claudicante de retour du cimetière. C’est vrai que nous continuerons à fredonner « Le Poinçonneur des Lilas » de même que « Le déserteur » reste dans toutes les mémoires…

 

La chanson, vous avez dit « art mineur » ?

 

© H.G.

 
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