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la feuille volante

UNE JOURNEE PARTICULIERE – Un film d'Etorre Scola

N°697 Novembre 2013.

UNE JOURNEE PARTICULIERE – Un film d'Etorre Scola.[1977]

OCS géants – Lundi 18 novembre 2013 - 20H40.

Rarement le cinéma dont l'apanage est le déplacement, des grands espaces, le mouvement, aura respecté à ce point les règles du théâtre classique, unités de lieu, de temps et d'action.

Nous sommes le 8 Mai 1938 et c'est la rencontre entre Mussolini et Hitler à Rome. La guerre n'est pas encore là mais on la sent monter, presque toute l'Italie est fasciste et embrigadée derrière son leader. En ce jour tous les Romains se pressent à cette cérémonie qui va mettre en exergue la puissance du pays et acter cette union qui anéantira plus tard ces deux puissances avec en prime les exclusions, les lois raciales et les délires guerriers. Voila pour l'extérieur.

Le spectateur est comme invité dans l’appartement d'Antonietta (Sophia Loren), une jeune romaine dont le mari est un petit fonctionnaire fasciste. Elle est mère de six enfants, vieillie prématurément par les maternités successives et le travail domestique et semble heureuse malgré tout. Elle n'ira pas à la manifestation patriotique comme son mari et ses enfants, tous revêtus de leur uniforme, tout comme d'ailleurs tous les habitants de l'immeuble. Elle restera habillée d'un sarrau et vaquera à ses occupations ménagères pendant ce temps. Elle aurait bien voulu pourtant accompagner sa famille puisqu'elle a pour le Duce une vénération particulière, elle qui, en un seul regard furtif de Mussolini, au milieu de la foule, a un jour ressenti toute la séduction de ce dernier. Tous désertent en effet l'immeuble à l'appel des haut-parleurs qui diffuseront pendant tout le film des chants patriotiques, de la musique militaire et des annonces célébrant l'amitié germano-italienne. Pas tous les habitants de l'immeuble cependant puisque la concierge reste pour remplir son rôle de gardienne. L'immeuble s'y prête d'ailleurs puisqu'il est tellement exigu qu'elle peut surveiller chaque locataire depuis sa fenêtre. On imagine qu'elle s'acquitte de son rôle avec zèle et même un certain plaisir puisqu'elle sait tout de tous. (Quand Gabrielle est entré chez Antonietta, elle le sait) On a donc l'impression que cette journée sera ordinaire, sans relief pour personne en dehors du déploiement militaire dont on n'entend que des échos.

Puis la caméra nous révèle l'existence d'une autre personne, un homme seul, Gabriele (Marcello Mastroianni) écrivant à son bureau, dont on ne sait pas forcément au départ qu'il habite le même immeuble. Ce n'est que la fuite momentanée du mainate d'Antonietta que ce détail nous est révélé, cette dernière allant frapper à sa porte pour atteindre l'oiseau posé sur le rebord d'une fenêtre. L'oiseau remis dans sa cage, la relation entre cet homme et cette femme dont à priori rien ne prédisposait à se rencontrer peut commencer. Les deux personnages tomberont petit à petit leur masque, elle lui révélant qu'elle supporte un mari volage qui va la quitter bientôt pour une autre femme plus instruite qu'elle et assumant des maternités répétées et voulues par cet homme dans le seul but de plaire au régime, lui commençant par se faire passer pour un animateur de la radio pour finalement lui avouer un travail minable de plumitif et son licenciement pour homosexualité. Ils finiront, à l’initiative d' Antonietta, par avoir une relation intime que Gabiele n'aura pas le courage de lui refuser. Si elle rend Antonietta heureuse temporairement, elle laisse Gabriele songeur et finalement malheureux mais faire l'amour avec lui a été une fête quand ce n'est plus qu'un devoir avec son mari.

Ce film m'a ému, non pas tant parce que les deux acteurs principaux sont mis en scène à contre-emploi, Sophia Loren incarnant une femme vieillie, introvertie et timide et Mastrioanni un homosexuel désespéré, pas non plus parce que le film met en évidence deux solitudes qui ne se seront rencontrées que l'espace d'une journée et ne se croiseront jamais plus, pas davantage parce que l'homosexualité est réprimée par le fascisme d'une manière odieuse et inadmissible puisqu'elle ne représente pas une menace pour le régime mais pour bien autre chose. Ce n'est même pas la mélancolie qui ressort de ces images en noir et blanc, le décor triste d'un appartement sans luxe ou d'une terrasse où sèche du linge usagé. Ce n'est pas non plus le malheur que traîne chacun des deux acteurs jusque sur leur visage et leur intense tristesse quand Gabriele est emmené en exil et qu'Antonietta qui sait ce que le régime lui réserve le voit partir. On peut à ce moment-là penser que les choses vont reprendre leur cours normal, qu' Antonietta va continuer à obéir aux ordres de son mari, « le jour comme la nuit », que l'appartement de Gabriele sera occupé par un autre fonctionnaire du régime... Ce qui me frappe c'est qu'à ce moment-là précisément, ces deux êtres si dissemblables, elle qui est si inféodée au fascisme qu'elle accepte son rôle de femme soumise à son mari, uniquement destinée à mettre des enfants au monde, lui qui, un peu malgré lui, fait allégeance au Duce qui glorifie l'homme viril et exclut les marginaux, ont l'intuition de la mort, l'acceptent comme une délivrance, Antonietta parce qu'elle est persuadée qu'elle ne rencontrera plus jamais l'amour, Gabriele parce qu'il part pour un voyage qui sera sans doute sans retour.

Hervé GAUTIER - Novembre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

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