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la feuille volante

LA PASSION SELON JUETTE .

N°906– Mai 2015

LA PASSION SELON JUETTE . Clara DUPOND-MONOD - GRASSET.

Juette à 13 ans et apprend à coudre parce qu'à cet âge, en pleine période médiévale, on se marie quand on est une fille. Son univers c'est cette petite ville belge de Huy où son père est un riche et influent collecteur d’impôts épiscopaux. Jusqu'à présent elle se conforme aux prescriptions de l’Église, prie, respecte des parents, reste renfermée sur elle-même, menue et farouche. Elle aime les belles et naïves légendes de chevaliers, même si, dans le cas de Lancelot et de Guenièvre ou de Tristan et Iseult, elles parlent d'adultère, c'est à dire de péché, sent son corps grandir mais n'est pas encore une femme, elle le sait. Elle va quand même devoir se marier et donc procréer parce qu'à cette époque c'est le rôle de la femme. Cela fera des vies et des âmes sur lesquelles l’Église, puissance spirituelle mais aussi temporelle, pourra régner. Pourtant, elle se méfie du regard des hommes mais cependant ne parle qu'à un seul d'entre eux, un moine séculier, Hugues de Floreffe, que ses parents apprécient. Il est son confident et son guide dans la foi, différent des autres prêtres qui sont volontiers corrompus et indignes de leur charge. Malgré leur amitié pure mais parfois un peu équivoque dans les mots, malgré son aide et son exemple, il reste partagé entre sa volonté de la soutenir et son obéissance aux dogmes de la religion et à la règle de son ordre. Ainsi, malgré son jeune âge Juette pose des questions embarrassantes pour son entourage, porte sur le monde qui l'entoure un regard étonné qui rapidement devient critique , a le courage de dire « non »  à l’Église qui, à ses yeux, n'a rien à voir avec Dieu qu'elle craint et vénère et à Qui elle souhaite vouer sa vie, redoute les hommes « avides »... Pourtant cela ne l'empêche pas d'être mariée de force à 13 ans avec un homme qui a l'âge d'être son père et qu'elle n'aime pas… et d'être veuve cinq ans plus tard. Cela contribue largement a modifier sa perception du monde et l'invite à ne plus se plier servilement au rôle qui lui était dévolu dans la société. C'est une révélation, une invitation et même une vocation. Dès lors, elle qui n'aimait guère la vie conjugale, est libre mais va mettre cette liberté en accord avec elle-même, avec ses idées révoltées alors que son père songeait déjà à lui donner un autre mari. Elle se sépare de ses biens, se consacre aux lépreux mais sans entrer dans les ordres, c’est à dire sans se soumettre à une règle d’obéissance aveugle qui entamerait sa liberté, réorganise le petit aréopage de femmes qui ont pris le même engagement qu'elle, se porte à leur tête. Ce faisant, elle s'attire les foudres de cette Église qui entend tout régenter et l'accuse d'hérésie parce qu'elle remet en cause de concept même de soumission.

De son vivant on vantait son exemple et après sa mort elle fit l'objet d'une véritable vénération et donna naissance à des vocations de femmes semblable à la sienne. On la qualifie volontiers de « Sainte laïque » mais l’Église s'est bien gardée d'ouvrir pour elle un procès en canonisation simplement parce qu'elle n’aime guère ceux qui, certes appliquent le message de l’Évangile, mais le font hors de sa férule.

Avec ce texte à deux voix, deux monologues intérieurs, l’auteure nous fait partager l'ambiance foisonnante du Moyen-Age autant que le paysage intérieur de cette jeune femme et les états d'âme de Hugues. Ce livre est le témoignage romancé de la vie d'Ivette (ou Juette) de Huy (1158-1228) qui fut transcrite par le moine Hugues de Floreffe et que Georges Duby fit revivre dans son ouvrage « Dames du XII° siècle ». A son tour et dans sa manière délicate et nuancée, Clara Dupond-Monod évoque cette femme d'exception. Juette illustre, comme d'autres, cette réaction contre une Église corrompue et un clergé vicieux, proclame son engagement (« le dévouement sans le serment, la religion sans le clergé, la foi au service des autres »), incarne ce courant médiéval de remise en cause des institutions religieuses qui a donné naissance à l'hérésie cathare, l'a fait sortir de l'anonymat et a fait d'elle quelqu’un d’étonnamment moderne, libre, indépendante, capable de mener seule sa vie mais dans un but altruiste.

©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

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