Dany Dyck-Chabrut
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Les saisons de ma mémoire
- Par ervian
- Le 17/07/2025
- Dans Dany Dyck-Chabrut
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N°1990 – Juillet 2025.
Les saisons de ma mémoire – Dany Dick-Chabrut – Arkane éditions.
Vieillir ce n’est pas seulement mesurer le poids des années qui rendent plus pénibles les mouvements du quotidien, c’est aussi arpenter le souvenir de ce parcours terrestre avec ses joies, ses victoires, ses jalons, ses épreuves, ses deuils, ses regrets... Avec des photos jaunies, Coco, 89 ans refait avec son amie Rose, 87 ans ce chemin à l’envers, convoque le passé avec la naïveté et les non-dits de leur enfance commune, la nostalgie que distille ces souvenirs face au progrès en marche tout en collationnant ces petits gestes d’autonomie et de liberté qu’elle pose avec gourmandise pour s’affirmer elle-même, en prenant conscience que le temps a passé, que ce monde a changé trop vite, que, même si’ elle n’est pas encore bonne pour l’ EHPAD, elle n’y a plus vraiment sa place. Elle met le doigt sur la transformation des générations avec l’évolution des mentalités, sur le fait que les êtres humains ne sont plus appréciés qu’à l’aune de leur rentabilité, avec en prime l’incompréhension et la suffisance des plus jeunes, les anciens, rendus fragiles et dépendants et qui ne sont plus regardés que comme une charge pour la société.
L’auteure nous invite à ce cheminement dans un passé pas si lointain, avec toute la volonté collective de construire un monde neuf et prospère mais qui laisse de plus en plus la place à une société en pleine mutation, devenue folle et égoïste qui a perdu ses repères , ses boussoles et aussi pas mal de ses valeurs anciennes à l’image de l’école qui portait en elle le respect de l’autorité et l’envie d’apprendre. Ce récit est plein de mélancolie, de sentiments éprouvés par un être humain face à la marche inexorable du temps dont les changements se déclinent en modernité mais aussi en incivilités, volontés de destruction, solitudes, désillusions et marginalisations. C’est un constat amer et sans concession de notre société amnésique, fracturée, sans véritable espoir de changement tant les choses sont figées dans l’immobilisme, vouée à l’injustice, à l’oubli, minées par l’appât du gain, confortées par les certitudes immuables, définitives, dans une Histoire qui menace de bégayer.
C’est aussi l’opposition de deux personnalités avec ses côtés contradictoires. Coco déplore ces transformations, l’abandon de la terre traditionnelle source de richesse, mais elle l’a pourtant quittée pour faire une belle carrière de cadre dans un grande entreprise et ainsi participer à ce mouvement irréversible. Rose, son amie, plus artiste et créatrice, qui a mené son parcours différemment, s’est polarisée sur la famille, ses incohérences et ses frustrations, sur les incongruités du couple. Trop idéaliste sans doute elle a refusé de donner la vie à un enfant, de le précipiter dans ce chaos. Elle a cultivé son indépendance, sa liberté de femme, maîtresse autant des anagrammes que des recettes de cuisine. Pourtant il y a entre elles une complicité mêlée au fatalisme et leur regard posé sur le monde, à la fois désabusé et paisible, s’accommode de ces petits plaisirs et de de l’humour face aux douleurs et à la fin de vie, au temps qui fuit, à la dégradation des corps, à la perte de mémoire, toutes ces choses qu’il faut accepter, à l’effacement progressif, à l’abandon seulement interrompu par la volonté de s’adapter, à la modernité et la pratique du soliloque, simples artifices pour faire oublier l’inévitable mort qui veille, simplement parce que la jeunesse éternelle n’existe pas.
Manipuler des photographies n’est jamais neutre. Cette incursion dans le passé ravive les souvenirs, entretient les spéculations, mais aussi la culpabilité de n’avoir pas fait ou pas dit ce qu’il fallait à un moment précis et cela pourrit la vie. Les clichés, qu’ils soient de famille ou de classe figent le temps et représentent des gens qui souvent ne sont plus là, évoquent les arcanes du passé avec son lot de bons et de mauvais moments vécus, de bonnes et de mauvaises personnes rencontrées avec, en contre-point, la recherche légitime du bonheur .
En forme d’épilogue, il y a cette constatation que la France, notre pays, s’est fait dans l’effort et la souffrance, que les femmes y ont pris leur part et qu’il convient qu’elles revendiquent leur place dans cette lutte en s’affirmant contre les hommes, en sortant de leur rôle traditionnel lié aux anciennes normes. Cela dit, cette volonté de changer la vie peut paraître une splendide illusion face aux temps qui changent , face au temps qui passe.
En lisant le titre de ce livre je m’attendais à autre chose, une exploration de la mémoire intime de l’auteure, un bilan de sa vie. Il y a certes un plongeon dans le passé de Rose et de Coco, à l’invite des clichés jaunis qui défilent sous leurs yeux et qui font revivre leur jeunesse et leurs fantômes, les hommes qui les ont aimées et le vide laissé par leur absence, par leur fuite parfois et qui ressemble à un échec, entre fantasmes et désillusions. Pour le reste, je partage le regard posé sur le monde, l’évocation des méandres du passé, l’amnésie de cette société, ses dérives et ses espoirs d’amélioration, à cause de mon âge sans doute.
C’est agréablement écrit et l’auteure s’attache facilement son lecteur.
Écrire un livre est dans la vie de son auteur(e), un moment fort. La dédicace est souvent laconique, économe en mots. Celle qui débute cet ouvrage me paraît originale et digne d’intérêt pour sa rédaction même, par son message aussi. Quant à la paix, nous la méritons tous.
© Hervé GAUTIER – Juillet 2025.