L'ENIGME DU RETOUR – Dany Laferrière
- Par hervegautier
- Le 17/12/2013
- Dans Dany Laferrière
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N°709 - Décembre 2013.
L'ENIGME DU RETOUR – Dany Laferrière – Grasset.[Prix Médicis 2009]
Avec l'élection du Canadien (Québécois) d'origine haïtienne Dany Laferrière en décembre 2013, l'Académie Française s'ouvre à la francophonie. Ce n'est d'ailleurs pas vraiment une nouveauté puisqu'elle avait déjà accueilli en son sein Marguerite Yourcenar qui fut la première femme académicienne et plus récemment Mickaël Edwards (La Feuille Volante n° 629). Il est en effet légitime que cette institution qui œuvre pour la défense de la langue française et pour sa culture ouvre ses portes à ceux qui, hors de nos frontières, la diffuse et la serve si bien.
Avec « l'énigme du retour »Dany Laferrière raconte son retour à Port au Prince, sa ville natale qu'il avait dû fuir à l'âge de 23 ans pour échapper à la dictature qui sévissait dans son pays comme son père l'avait fait avant lui. Il était parti sans avertir les siens, « sans se retourner » et parlera de cela dans « Le cri des oiseaux fous ». De cet homme qui vient de s'éteindre à New-York dans le plus grand dénuement solitaire, il ne connaît que des photos [« Je pense à un mort de qui je n'ai pas tous les trais du visage en tête »]et il doit l'annoncer à sa mère restée au pays, comme un coup de fil l'en a informé, une nuit. Il prend donc la route pour assister à ses funérailles américaines.
L'annonce de cette mort pourtant inévitable le bouleverse au point qu'il part et refait donc à l'envers le chemin fait, trente trois ans plus tôt mais sans le corps de ce père qui ne retrouvera jamais sa terre natale. Ce seront donc des funérailles sans cercueil, c'est seulement l'esprit de son père qu'il rapporte avec lui et qu'il retrouve en rencontrant ses anciens amis, ceux qui vivent encore dans son souvenir. Il prend pourtant beaucoup de précautions pour annoncer à cette femme qui s'est réfugiée dans la prière et la religion la mort de son mari. En réaction, elle chante et danse sa tristesse. Pourtant il retrouve Haïti, son climat et la beauté de ses femmes dont il parle si bien (il évoque avec des mots simples leur nuque fragile et leur corps gracile, parle avec émotion des rêves qu'il faisait étant enfant quand il pénétrait en songe dans la chambre des filles dont il était amoureux pour les regarder dormir), le syncrétisme entre le christianisme et le vaudou (ainsi cet homme qui entreprend une conversation avec lui et qui se rend compte au bout de quelque temps qu'ils ne se connaissent pas et disparaît dans la pénombre, sa mère n'y voit rien d'autre qu'un mort), le kidnapping, la violence, le sexe, la corruption, les meurtres, des disparités sociales mais un pays qui n'est plus le sien, un pays où le régime certes a changé mais qui est peut-être le même que sous la dictature et qu'il ne le reconnaît pas malgré ses efforts [« Les images d'hier cherchent sans cesse à se superposer sur celles d’aujourd’hui, je navigue dans deux temps »]. Il constate seulement un fait mais entre les lignes on sent quand même quelques regrets. Au Canada il n'en retrouvait la douceur que dans l'eau chaude de sa baignoire où il « se recroqueville comme dans un ventre rempli d'eau » et compare malgré lui son soleil, sa misère et les horreurs de la dictature au froid et à la sécurité du Canada qui ne sera jamais pour lui qu'une terre d'exil [«Je suis conscient d'être dans un monde à l'opposé du mien. Le feu du sud croisant la glace du nord fait une mer tempérée de larmes »]. Il ne peut s'empêcher de sourire quand son neveu qui porte le même prénom que lui et qui n'a jamais quitté Haïti lui parle du Canada comme d'un véritable Eldorado.
Il prend conscience qu'il n'est plus d'ici (d'ailleurs, après avoir bu un jus de fruit local il est atteint d'une diarrhée comme en ont les touristes, ce qui est plus qu'un symbole) et qu'il ne sera jamais un vrai écrivain haïtien parce qu'il n'a pas connu la faim qui est ici le lot quotidien des pauvres. Quand il tente d'interpeller de jeunes enfants en créole, ils ne le comprennent pas [« C'est là que j'ai compris qu'il ne suffit pas de parler créole pour se métamorphoser en Haïtien »]. Lui qui est devenu journaliste, écrivain, essayiste, n'a plus vraiment de racines, un pied sur son île ensoleillée et l'autre sur le continent glacé, il n'est plus vraiment haïtien mais pas non plus canadien, n'oublie pas de vilipender le colonialisme et il se terre dans une chambre d'un hôtel réservé aux journalistes, comme un étranger pour ne pas donner à sa mère l'illusion qu'ils pourraient vivre de nouveau ensemble, après toutes ces années de séparation. Au vrai, son retour ne se fait pas vraiment incognito et celui qui revient chez lui après une si longue absence est toujours entouré d'une sorte d'aura. Il ne manque pas de gens qui disent le connaître ne serait-ce qu'à cause de son père et d'autres que, malgré lui, il ne reconnaît pas.
Dans cette pérégrination à travers le pays, un peu comme s'il reprenait possession de sa terre quittée plus de trois décennies plus tôt, il entre en communion avec cette grand-mère qui l'a élevé, avec la mémoire de son père à travers ceux qui l'ont connu. A partir des traces de son père, en fait un véritable fantôme, le narrateur fait un parcours initiatique qui se terminera finalement en lui-même et prend conscience qu'il l'a peu connu. Ils ont eu chacun leur dictateur, tout les deux ont eu l'exil en partage, sans retour pour le père et énigmatique pour lui-même. Il n'a pu ramener son corps mais l'esprit paternel l'accompagne[« Il m'a donné naissance , je m'occupe de sa mort. Entre naissance et mort on s'est à peine croisé – Je n'ai aucun souvenir de mon père dont je sois sûr »] Ayant passé une nuit symbolique dans un cimetière où son père ne reposera jamais, il est reconnu comme Legba, un dieu vaudou haïtien à la frontière du visible et de l'invisible et cet hommage posthume rendu à son père avec des mots sera son véritable tombeau.
Ce retour, même s'il est pathétique et peut-être dramatique n'est pas dénué d'humour et à son neveu qui veut devenir écrivain il conseille d'avoir de bonnes fesses parce que, pour écrire, il faut rester longtemps assis ! Son humour un peu caustique s'adresse aussi à lui-même, à son parcours [«Je suis passé en si peu de temps de végétarien forcé à carnivore obligé »] ou même carrément enjoué quand il parle de la dictature de son pays qu'il a fui pour mieux tomber sous celle du Canada qu'est le froid.
Dany Laferrière n'oublie pas qu'il est lui aussi un écrivain qui revendique ses influences, la culture française certes mais aussi l’œuvre d’Aimé Césaire, le poète de la négritude, mais aussi celui du « Cahier du retour au pays natal » ainsi passe-t-il du statut d'exilé à celui d'écrivain. C'est en cela sans doute que ce retour tant désiré est une énigme, retour à la fois rêvé et désenchanté ou l'imaginaire colorie l'exil dont la réalité et aussi un peu sa notoriété l'excluent de fait de ce pays [« Je sens une distance de plus en plus grande entre la réalité et moi »].
Le style est simple, grave, sur le ton de la confidence et de la pudeur et les vers libres alternent avec une prose faite de phrases courtes, agréables à lire pas vraiment un roman traditionnel mais une écriture forte, riche, pleine d'émotion, touchante, une petite musique un peu nostalgique, plus un récit autobiographique qu'une véritable fiction romanesque, une somme de réflexions personnelles sur l'exil, sur cette moitié d' île un peu oubliée et sur un peuple qui a perdu tout espoir. Je l'ai ressenti comme un long poème fait de visions factuelles, de scènes quotidiennes qui illustrent si bien cette citation de Victor Ségalen « Voir le monde et l'ayant vu, dire sa vision »
Avec les poèmes de Laferrière je retrouve l'illustration du dérisoire contre l’inacceptable, l'écriture contre la douleur et la mort
©Hervé GAUTIER – Décembre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com
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