Les loyautés
- Par hervegautier
- Le 31/10/2019
- Dans Delphine de Vigan
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La Feuille Volante n° 1406– Novembre 2019.
Les loyautés - Delphine de Vigan - JC Lattès.
D'emblée, en bon pédagogue, Delphine de Vigan prend soin de définir la loyauté avant de l'illustrer par son propos et aussi d'y mettre la marque du pluriel, "des liens invisibles qui nous attachent aux autres", des promesses que nous nous sommes faites dans le secret de nous-mêmes, des "fidélités silencieuses" et invisibles qui nous viennent parfois de l'enfance et auxquelles nous sommes tenus parce que en avons décidé ainsi. Cela nous sert de boussole, d'énergie et parfois même nous rongent et nous détruit. C'est une mise en scène de quatre personnes, deux adultes, Cécile et Hélène et deux adolescents, Théo, 12/13 ans, enfant de parents divorcés et aussi devenus ennemis, écartelé par la garde alternée et désarmé devant l'apathie de son père, seul et au chômage en fin de droits. Mathis, son ami inséparable vit dans une famille où la mère Cécile et son mari sont ensemble mais mènent des vies séparées et pleines de découvertes parfois nauséabondes, ce qui perturbe la vie de leur fils. Cécile n'approuve pas cette relation entre les deux adolescents et se trouve impuissante face au désarroi de son fils et Hélène, l’enseignante du collège où sont scolarisés les deux élèves à l'intuition qu'ils sont sur une pente dangereuse et tente de faire quelque chose pour Théo parfois gauchement et même d'une façon qui outrepasse ses fonctions. Lui-même s'avance dangereusement vers la mort mais voudrait faire quelque chose pour son père qui lui aussi s'enfonce chaque jour davantage dans une sorte de néant. Ces quatre personnages sont enchaînés par des liens et leur destin va se croiser. Les garçons sont fragiles, les pères inexistants chacun à leur manière et les mères vivent cette période difficilement et surtout dans une grande solitude au quotidien. Hélène puise dans son enfance déchirée une sorte d'obligation de sauver Théo.
Sur le plan de la forme Cécile et Hélène parlent à la première personne tandis que Mathis et Théo sont l'objet de narrations alternées de la part des deux femmes. C'est une évocation de cette difficulté d'être un adolescent aujourd'hui, même si cette période qui est une transition entre l'enfance et l'âge pré-adulte est toujours difficile pour ceux qui la vivent comme pour ceux qui les côtoient d'autant que le contexte familial et social a changé par rapport à celui des générations précédentes et s'inscrit aujourd'hui dans un contexte de famille éclatées. Certes les relations entre les membres d'une même famille n'a jamais été une chose simple et même si auparavant il y avait beaucoup d'hypocrisie et pas mal de déviances, au moins les apparences étaient sauves avec un semblant d'unité et de stabilité. Le mariage suppose aussi une loyauté dans le couple, bien souvent oubliée, cela implique que chaque membre ne peut plus se croire tout permis, est tenu à une fidélité et une sorte d'abnégation de soi-même. La multiplication des divorces n'a rien réglé parce que dans ce contexte, c'est trop souvent les enfants qui paient les erreurs de leurs parents et ils en portent la marque toute leur vie. J'ai lu dans ce roman la désagrégation des famille à l'heure où des hommes et des femmes se jurent fidélité pour la vie et, à la première occasion, au mépris de leurs propres enfants et de leurs obligations de parents, font éclater leur foyer et deviennent des ennemis irréconciliables. L'amour est une chose consomptible comme toutes les choses de notre vie et ne fait que dissimuler un temps les zones sombres de chacun de nous. La solitude qui résulte souvent de cet éclatement du couple mais peut aussi perdurer dans son maintient surtout quand il est artificiel. Ici Cécile soliloque ce qui est un signe de souffrance au sein même de son couple et cela vient de son enfance. Face à cela, Hélène veut sauver Théo et pour cela outrepasse ses fonctions d'enseignante au point d'en être réprimandée professionnellement et lui, de son côté veut sortir son père, honni par sa mère, de sa déchéance programmée.
Dans la continuité des"Heures souterraines" ou de "No et moi" Delphine de Vigan se livre ici une interrogation sur notre monde contemporain, fragilisé par des violences invisibles, sur nos engagements personnels face qui nous font grandir mais aussi nous enferment.
©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
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