La grande roue
- Par hervegautier
- Le 23/02/2019
- Dans Diane Peylin
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La Feuille Volante n° 1327
La grande roue – Diane Peylin – Les escales - domaine français.
Diaghilev disait à Jean Cocteau « Étonne-moi, Jean » et j'avoue que j'ai été étonné par ce roman original dans son architecture. Comme nombre de lecteurs sans doute, je l'ai entamé comme la présentation dans les années 80 de quatre destinées, celle d'Emma, de David, de Nathan, de Tess. Au départ je me suis senti un peu perdu dans ce récit labyrinthique et cette ambiance un peu lourde en me demandant bien, au fil de ma lecture, le lien qui pouvait exister entre ces personnages, inspirés autant par Frantz Kafka que par David Lynch et pour qui je ne pouvais pas ne pas avoir de l'empathie. J'ai eu l'impression de quatre longues nouvelles parallèles, indépendantes les unes des autres, mais l'auteure, petit à petit et avec une bonne dose de suspense et d'absurde, mélange et emboîte tous les morceaux de ce puzzle.
Emma, dix-neuf ans, est en apparence une poupée rousse. Après avoir rencontré Marc au pied de la grande roue, elle vit avec lui « le grand amour », abandonne tout pour lui, ils sont amoureux mais Emma ressent douloureusement son enfance qui revient et la hante. On peut perdre la tête pour quelqu'un, tout lui sacrifier, bâtir avec lui une histoire d'amour qu'on imaginait pouvoir durer toute une vie… Malheureusement nous savons tous que cela n'existe que dans les romans à l'eau de rose et les difficultés quotidiennes, le mensonge, la trahison, l'adultère viendront, parfois assez vite, brouiller ces illusions. Bien entendu, l’attitude violente de Marc est répréhensible et ne saurait se justifier. Il souffle le chaud et le froid d'une manière incompréhensible même si au bout du compte, par amour ou par crainte elle accepte tout de lui, jusqu'à un certain point cependant. David vient de trouver une place d'ouvrier saisonnier dans la montagne, même s'il n'est pas vraiment taillé pour ce métier dur, s'interroge sur lui-même, sur sa différence. Nathan fait face à un commissaire de police pointilleux et dépressif pour une affaire qui dure depuis dix-neuf ans, la disparition mystérieuse de sa mère pour laquelle il cherche la vérité mais qui empêche ce fils de faire son travail de deuil. Lui aussi est hanté par ses souvenirs. J'ai eu un peu de mal à entrer dans son histoire et à croire à l'existence de cette enquête qui dure si longtemps et qui, d'ordinaire serait classée sans suite faute d'éléments et de preuves et qui ne perdure que par la volonté de ce policier qui refuse étonnamment de tourner la page. Tess est une belle femme en robe rouge qui erre dans la ville, comme un zombie, blessée dans sa chair, dans son corps, mais son errance est aussi une fuite. Quatre personnages tourmentés poursuivis par leurs chimères ou qui tentent d'y échapper, ce qui est qui est peu ou prou le parcours de chacun d'entre nous. Ils survivent dans cette vie qu'ils auraient voulue différente mais qui s'impose à eux dans sa réalité avec le souvenir du passé, comme des flashs, les obsessions, les échecs du présent, un avenir que se bouche chaque jour un peu plus, des fantasmes, une recherche de soi-même… Ce sont des tranches de leur vie qui se déclinent en courts chapitres.
En revanche, le personnage, du commissaire Field qui n'est ici que secondaire, m'a interpellé. C'est le type même du flic idéaliste, entré dans la police par hasard parce qu'il fallait bien vivre, bien qu'il eût imaginé sa vie autrement. A force d'enquêter et de rencontrer l'espèce humaine dans ce qu'elle a de plus sordide, il a dérivé dans l'alcoolisme pour supporter son métier et peut-être cette vie et ses échecs personnels.
J'ai lu ce roman à travers les symboles qu'il porte. J'ai distingué le concept de nudité qui revient dans la plupart des personnages, une nudité qui apparaît après une longue réflexion, un long cheminement intérieur, un peu comme si chaque personnage perdait petit à petit ses illusions sur le monde qui l'entoure et qu'il avait un temps repeint en bleu. La nudité est un symbole face à la mort et à la naissance, à la renaissance, dans la recherche de sa personnalité, de sa nouvelle identité. Il se confond un peu avec celui de l'eau dans le cas d'Emma et de son personnage protéiforme.
Il y a aussi le concept de peur qu'on refuse mais qui impose sa présence, peur de l'autre et de soi-même et dont seule la mort libérera. C'est aussi la peur qui nous fait hésiter, reporter à plus tard une décision. Toute sa vie Emma subit les violences et les humiliations de son époux, dans l'espoir impossible d'une amélioration pour elle-même, pour protéger ses enfants, peut-être (Ici Rose disparaît cependant) au point qu'elle aspire à n'être personne, à ne laisser aucune trace parce que les blessures de la vie vous isolent du monde. Son échec conjugal évoque celui de Jacqueline Sauvage qui a un temps défrayé la chronique. L'auteure nous rappelle à la fin une réalité, des femmes chaque jour souffrent et meurent sous les coups de leur conjoint ou de leur compagnon, même si, dans une moindre mesure, l'inverse est également vrai. Que je sache la volonté de nuire à l'autre, de l'humilier, de le faire disparaître est unanimement partagée et ne se limite pas à des coups portés de la part du plus fort sur une plus faible. Cela en dit long sur l'espèce humaine, sur les grandes idées que des générations de philosophes ont affirmé sur l'homme, sur son importance, sur sa valeur…
Ce roman qui est le cinquième de cette auteure se lit rapidement malgré son architecture surprenante. L'écriture est fluide, avec des moments poétiques et cela a été pour moi un agréable moment de dépaysement et de découverte.
©Hervé GAUTIER – Février 2019. http://hervegautier.e-monsite.com
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