la feuille volante

LES YEUX NOIRS

N°941– Juillet 2015

 

LES YEUX NOIRS – Dominique BONA JC Lattès.

 

Tout commence par la découverte fortuite par l'auteure de photographies pornographiques du début du XX° siècle dont l'une d'elles représente l'épouse d'Henri de Régnier, une des filles du poète José-Maria de Heredia. Découverte déconcertante et inattendue donc mais peut-être pas tant que cela.

 

L'auteur des « Trophées » avait trois filles, Hélène, Marie et Louise qui ne se ressemblaient pas mais dont la « grande affaire » de leur vie fut l'amour ; elles choisirent exclusivement des poètes. Elles ont exercé leur passion avec liberté mais derrière la paravent des convenances de leur temps. Devaient-elles cela à leurs origines cubaines ou à la couleur envoûtante de leurs yeux ? Elles ont en tout cas fait rêver nombre d'hommes célèbres mais si chez les Heredia, c'est luxe, calme et volupté mais c'est aussi un peu l'ennui pour elles et la ruine qui les menace tous fait qu'elles ne pourront pas avoir de dot, ce qui compromet leur mariage. Leur beauté en tiendra lieu cependant. Les trois sœurs vivent dans cette ambiance mondaine, parisienne, virevoltante du début du XX° siècle, une vie frivole, passionnée, amoureuse. Devant la déconfiture financière, Mme de Heredia pousse au mariage de ses filles mais ces unions plus marquées par l'intérêt que par l'amour seront cahoteuses, ce qui est un paradoxe pour ces jeunes filles rêveuses et sensuelles. Elles combleront ce vide en ayant des amants que parfois elles se disputèrent ou se partagèrent, c'est mieux que le suicide ou la folie et surtout moins définitif. Qu'importe Marie épousera Henri de Régnier, un beau parti qui ne lui donnera cependant ni bonheur ni plaisir, Pierre Louÿs sera son amant préféré, toléré par le mari (il ne sera pas le seul, loin s'en faut) mais épousera Louise et Maurice Maindron un riche intellectuel-aventurier épousera Hélène.

Le modèle nu des photos c'est Marie et le photographe passionné, c'est Pierre qui est aussi à l'occasion un auteur de romans pornographiques que lui inspire sa propre vie. Marie renoue avec un talent de son enfance, la poésie mais, fille et femme de poète elle veut être connue pour elle-même et prend un nom d'homme qui a appartenu à un de ses ancêtres : Gérard d'Houville. Elle ajoutera à la poésie une œuvre romanesque qui se nourrit de sa propre vie. Quand Marie prendra pour amant Henry Bernstein elle fera scandale en s’affichant avec un juif (on est foncièrement antisémite dans sa famille) mais il est aussi un homme de théâtre. Louise délaissée par son mari en pleine déconfiture financière et créatrice vivote et Hélène devient rapidement veuve, elle se remariera avec un homme de lettres ; elle sera sûrement la plus sage et la plus rangée des trois sœurs. De cette fratrie Marie est la plus mutine, la plus amoureuse, la plus scandaleuse aussi. Elle tombe facilement amoureuse et ses amants nombreux ont parfois des noms célèbres mais son mari, éperdument amoureux d'elle, ferme les yeux. Des trois elle vivra le plus longtemps, survivant à son époux, à son fils Pierre de Régnier, à ses amants. C'est pourtant Louise qui divorcera, procédure rarissime pour l'époque ; ce sera pour les deux époux une délivrance. Elle se remariera mais on murmure que les filles Heredia ne portent pas bonheur aux hommes ... la maladie, la solitude et la mort s’abattront sur elles et sur leur entourage. Ces trois sœurs ont vécu dans l'ombre d'hommes célèbres, père, maris, amants mais ont cherché leur épanouissement personnel dans un société austère. Leur vie a assurément été un authentique roman d'amour.

 

Dominique Bona excelle encore une fois dans cette évocation avec, comme d'habitude, une prédilection pour les portraits qu'elle brosse avec un grand souci du détail. Son écriture est toujours aussi belle et fluide et je reste admiratif, à chaque fois que je lis une biographie écrite par elle devant son méticuleux et cultivé travail d'archiviste. Le texte qui en résulte et qui fourmille de précisions est toujours passionnant. Elle avait déjà enthousiasmé ses lecteurs avec notamment des biographies de femmes célèbres (Berthe Morissot, Camille Claudel, Clara Malraux ...) Elle renoue ici avec cet exercice et reste à mes yeux un ardent défenseur de la langue et de la culture françaises, ce qui n'est pas anormal pour une académicienne !

Hervé GAUTIER – Juillet 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

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