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la feuille volante

Changer: méthode

N°1941– Octobre 2024.

 

Changer : méthode – Édouard Louis - Éditions du Seuil.

 

« L’histoire de ma vie est une succession d’amitiés brisées » Cette simple phrase résume à elle seule ce livre au titre à la fois laconique et ambitieux. L’auteur n’a en effet que 26 ans quand il entame cette autobiographie partielle dont je retiens une volonté acharnée de réussite personnelle face à laquelle rien ne résiste, pas même les amitiés qui y ont contribué. Elles ont été sacrifiées par lui dans ce seul but. Eddy Belleguelle qui deviendra Édouard Louis n’est pas né dans une famille d’intellectuels mais au contraire dans un milieu social pauvre et rural, Il est un de ces écorchés de la vie, rejeté par ses parents, avec en prime la misère qui n’a même pas le soleil pour être supportée comme le dit la chanson, ostracisé par son homosexualité, bouleversé par les épreuves familiales. Il deviendra pourtant un intellectuel diplômé et un écrivain célèbre .

 

Une deuxième interrogation est la chance qu’il a eue de pouvoir s’en sortir, rencontrant les bonnes personnes qui l’ont aidé, soutenu, sa rencontre avec Elena, sa vie au sein de sa famille, cela m’a paru d’autant plus surréaliste qu’il semble ne pas y avoir de secrets entre eux et c’est elle qui initie son épanouissement par la lecture, la culture, c’est grâce à elle qu’il abandonne ses manies de prolétaire pour adopter les codes de la bourgeoisie. Ils s’aiment réciproquement, il n’y a entre eux que des relations amicales, platoniques, mais c’est lui qui choisira de l’abandonner quand son avenir se dessinera à Paris, ville qui selon une tradition bien ancrée mais parfois illusoire, est le symbole de l’espoir et parfois de la réussite. Ce sont cependant les hommes, ses amants, qui l’aident à oser assumer son orientation sexuelle, puis plus tard sa rencontre avec un auteur homosexuel, Didier Eribon, à devenir lui-même écrivain, sans doute pour l’imiter. Hasard, destin, chance, c’est comme on voudra ! Je note cependant que parmi toutes ces personnes qu’il croise, il y a quand même quelques femmes. ! Il a eu également la chance de retenir l’attention d’un grand éditeur quand tant d’autres avaient refusé le tapuscrit de son premier roman. Il y a la baraka, certes, la volonté de ses amis de lui venir en aide à cause peut-être du magnétisme (de la beauté ?) qui se dégage de sa personne, sa volonté à lui de s’en sortir et il ne ménage pas ses efforts pour la susciter, par opportunisme, par séduction, par la quête légitime du bonheur ne serait-ce que pour consolider sa position que que le sexe lui procure, pour se sauver, pour ne pas revenir dans son ancienne situation précaire. Pourtant nombre de ses amants de passage ne voient en lui qu’un objet sexuel transitoire, qu’une simple toquade quand lui recherche désespérément l’amour, une condition stable qui l’aidera à sceller sa situation, à fuir ce passé qui l’obsède. Malheureusement ses tentatives, pourtant menées de bonne foi, se sont révélées vaines, soulignant son isolement.

 

Il commence donc son récit, par besoin de relater son passé, pour s’en débarrasser dit-il, mais je ne suis pas bien sûr que cela soit vraiment possible, l’écriture n’ayant pas, à mes yeux, un effet cathartique, bien au contraire. En effet, chercher, à titre personnel, à le faire revivre produit bien souvent l’effet inverse et y mettre des mots pour l’exorciser m’a toujours paru illusoire, cet exercice ne pesant rien face à l’intolérance, à la solitude, aux remords. Certes il prétend que la lecture, puis l’étude, et plus tard l’écriture ont été essentielles dans sa métamorphose, mais j’observe que, à un certain moment, l’écriture est allée au-delà de l’exorcisme de son passé, puisqu’il recherchait grâce à elle à échapper à l’angoisse de n’être pas à sa place dans une société parisienne où il n’était qu’un étranger. Même l’accès à la prestigieuse École Normale ne lui a pas vraiment permis cette émancipation , face au complexe de classe et d’origine. Seul le présent comptait, avec ses rencontres de hasard, parfois prestigieuses qui suscitaient pour lui un fol espoir, souvent déçu. Ce n’est que plus tard, grâce à ses soutiens, à son talent, à sa persévérance, que cet exercice laborieux et parfois périlleux qui consiste à mettre des mots sur ses maux, que la littérature et la notoriété ont officialisé et récompensé cette quête.

 

Raconter sa propre histoire est souvent le moteur de la création littéraire où des lecteurs peuvent se retrouver et puiser de l’énergie pour eux-mêmes, Vouloir changer sa vie, faire échec à un avenir tout tracé, laborieux, limité et qui ne nous convient pas, vouloir échapper à un milieu où on ne sent pas à sa place ou qu’on rejette, tout cela est légitime, surtout si on en a la volonté et qu’on s’en donne les moyens. Le faire à travers la culture et les disciplines intellectuelles procurent une sorte de vertige, la certitude d’appartenir à une élite, de vivre une vie exceptionnelle. Cela dit, les chemins de la réussite seront toujours pour moi un mystère. Cette exploration intime et ce besoin d’en porter témoignage mettent en évidence une sorte de dédoublement de sa personnalité, une partie de lui aurait voulu rester auprès d’Elena et vivre avec elle dans l’anonymat et l’autre partie a voulu forcer le destin, l’attirer vers la réussite et la célébrité, et c’est cette deuxième option qu’il choisit , même s’il en conçoit un peu de honte et donc de déchirement. D’autre part conserver sa nouvelle vie faite de culture et de plaisirs, par la fréquentation des bibliothèques mais aussi des hôtels de luxe et des grands restaurants, tout ce qui lui a manqué dans sa jeunesse, reste une obsession. Il ne veut à aucun prix retomber dans sa vie d’avant, dans la pauvreté, dans l’injustice de cette situation. Écrire est un refuge face à cette souffrance et même si l’apaisement personnel n’est pas au rendez-vous, sa volonté de s’inscrire dans un milieu littéraire avec la certitude d’avoir quelque chose à dire qui sort de l’ordinaire par son authenticité même et celle de profiter des plaisirs de la vie, reste intacte comme est intacte sa quête du véritable amour. Mais écrire est aussi une souffrance, un combat intime, un épuisement, parfois une impossibilité et dont le résultat est souvent la désillusion et l’échec. C’est un exemple que je salue et si on nous parle volontiers de ceux qui ont réussi, on omet souvent de ceux, et ils sont nombreux, qui ont connu l’échec. Pourtant, sa vie, telle qu’il la relate me semble s’apparenter à une fuite constante, de sa famille d’abord, de son village puis de la ville d’Amiens, d’Elena, de sa vie d’avant et même celle du présent et peu importe si tout cela génère des trahisons successives qu’il assume. C’est donc cette méthode qu’il privilégie.

 

Je note qu’il présente ce livre comme une série d’ explications successives mais fictives avec son père, avec Elena. C’est un moyen de se justifier, une occasion de fixer les choses pour lui-même, de s’expliquer, mais ce qui est un soliloque est aussi un refus de dialogue, un réquisitoire forcément tronqué parce que c’est lui qui tient la plume. C’est aussi l’itinéraire, évidemment pas idyllique mais courageux et plein d’abnégations de celui qui a réussi, parce que, devenant un écrivain connu et reconnu, il a tenté d’exorcisé son passé.

 

J’avais déjà abordé cet auteur avec « En finir avec Eddy Bellegueulle » qui était son premier roman. Changer, certes, quant à la méthode qu’il met en avant, il me paraît évident que sans la chance dont il a bénéficié, cela n’aurait pas fonctionné. Le livre refermé, je reste perplexe face à cette confession de plus de trois cents pages mais cet ouvrage me paraît s’inscrire dans le prolongement des témoignages d’Annie Ernaux et Didier Eribon notamment sur l’émancipation par l’écriture d’un auteur originellement issu d’une classe populaire culturellement défavorisée.

 

J’ai lu ce livre jusqu’à la fin pour en savoir d’avantage sur le cheminement de cet auteur, notamment parce que plus j’en tournais les pages plus mon intérêt grandissait. J’ai fait certes quelques remarques, quelques réserves mais j’ai apprécié ce texte parce qu’il est bien écrit, dans un style simple, sans artifice littéraire et facile à lire. Je le ressens comme un écrivain dont je suivrai volontiers le parcours créatif.

 

 

 

 
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