LE BOXEUR POLONAIS
- Par hervegautier
- Le 21/10/2015
- Dans Eduardo Halfon
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N°974– Octobre 2015
LE BOXEUR POLONAIS – Eduardo Halfon- Quai Voltaire.
Ce sont deux nouvelles assez courtes qui comportent ce recueil. De l'aveu même de l'auteur, c'est un genre littéraire dans lequel il s'exprime le mieux. Il me paraît important de commencer par la seconde au terme de laquelle cet écrivain guatémaltèque , juif polonais d’origine, ayant faut ses études aux États-Unis est invité à un colloque qui a pour thème « La littérature écorche la réalité ». C'est une formule assez sibylline qui, au milieu des insomnies qu'elle lui procure, lui fait penser à un film de Bergman. Il en vient à s'interroger sur l'interdépendance de la réalité et la littérature et conclue que cette dernière est, à ses yeux, synonyme de destruction puisque l'écrivain, même s'il souhaite en rendre compte avec précision, l'oublie. Cela l'amène à se remémorer une histoire que son grand-père lui racontait alors qu'il était petit. Le vieil homme lui révéla que le numéro tatoué sur son avant-bras était en réalité son numéro de téléphone qu'il ne parvenait pas à se rappeler. Plus tard, alors que son petit-fils a grandi et qu'il l'interviewe, le vieil homme lui parle du camps d’Auschwitz où il devait être exécuté. La veille, le hasard lui fait rencontrer un boxeur polonais qui, pendant toute la nuit, lui indique ce qu'il doit dire et ne pas dire aux Allemands qui le lendemain seront chargés de le juger et qui décideront de sa vie ou de sa mort. Le fait est qu'il a effectivement la vie sauve grâce à ses conseils. L'auteur décide donc, quelques années après, de raconter cette histoire qui fait l'objet de la première des deux nouvelles de ce recueil et qui apparemment lui convient parfaitement. Ce faisant, la littérature lui a donc permis de rendre compte de la réalité et non pas de l'écorcher.
Le hasard, toujours lui, fait que, longtemps après, l'auteur lit, publiée dans un journal guatémaltèque, l'interview de ce même grand-père sur sa détention et sa survie dans les camps de la mort. Le vieil homme révèle qu'il la doit simplement à ses talents de menuisier, les SS privilégiant effectivement les artisans qui leur rendaient des services et qu'ainsi ils sauvaient provisoirement de l'extermination. Il n'est donc plus question de ce proverbial boxeur polonais qui, tel Shéhérazade, a passé sa nuit à lui prodiguer des conseils. Dès lors, il a, en quelque sorte, la réponse à son questionnement sur la réalité et la littérature. Pourquoi son grand-père a-t-il déguisé la vérité derrière une histoire inventée ? L'auteur en conclue que la littérature est « comme le tour d'un prestidigitateur ou d’un sorcier, qui donne corps à la réalité et fait croire qu'il n'y en a qu'une. A moins que la littérature ne nécessite de détruire une réalité pour en construire une autre » Il y ajoute même une réflexion personnelle prétextant que la littérature devrait effectivement rendre compte de la réalité, que cela est à la portée de l'auteur mais qu'il est, peut-être malgré lui, sujet à l'oubli.
Derrière l'histoire relatée dans ces deux nouvelles, le thème de réflexion me paraît pertinent. Je note que, certes l'auteur, a rendu compte d'un souvenir personnel de son grand-père, mais que ce dernier l'a délibérément déguisé, peut-être parce qu'il ne voulait pas évoquer la triste réalité et qu'il préférait la travestir ainsi. D'ailleurs la supercherie de son numéro de téléphone procède de cette même démarche et rares sont les déportés qui ont accepté d'emblée de parler de leur détention dans les camps. On se souvient de la démarche de Jorge Semprun dans « L'écriture ou la vie ». C'est là un oubli volontaire et, quand un auteur choisit de relater ses souvenirs, et au cas particulier ceux de sa famille ce qui est, comme souvent un thème récurrent chez un écrivain, il fait effectivement un tri parmi eux. C'est un parti-pris parfaitement respectable qui ne fait que mettre en lumière sa liberté de création. L'oublie-t-il volontairement pour autant ? Ce n'est pas sûr et il se réserve peut-être le droit d'y revenir plus tard, lors de la rédaction d'une autre œuvre. La mémoire qu'un créateur veut faire revivre avec des mots subit effectivement une forme de choix inconscient du à sa sensibilité ou à sa volonté de prouver quelque chose, étant entendu que c'est lui qui a la main unique du scribe. D'autre part nous savons tous que l'écriture est le domaine de la création et que la fiction vise justement à créer quelque chose qui n'existe pas, pourquoi pas sur les cendres d'autre chose, comme une sorte de phénix .
Je n'ai abordé l’œuvre d'Eduardo Halfon que très récemment (La Feuille Volante n°966 pour Signor Hoffman). J'en ai goûté le style et l'ambiance un peu particulière, à la fois nostalgique et lente qui sourd de ses textes autant que l’invitation à la réflexion sur le rôle de la littérature.
Hervé GAUTIER – Octobre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com
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