la feuille volante

La femme au miroir

 

La Feuille Volante n° 1361 Juillet 2019.

 

La femme au miroir Eric- Emmanuel Schmitt – Albin Michel.

 

Il s’agit du destin de trois femmes vivant à des périodes et dans des pays différents et qui refusent mariage et maternité, c’est à dire le sort traditionnel qui leur est réservé dans une société gouvernée par les hommes. Anne est une jeune fille flamande modeste de la Renaissance qui s’enfuit le jour de ses noces pour se retirer dans un béguinage qui à cette époque est une communauté non religieuse de femmes qui refusent la domination des hommes. Hanna et une aristocrate autrichienne du début du XX° siècle qui a épousé un homme charmant mais que se sent de moins en moins à sa place dans son milieu et qui devient psychiatre grâce à Freud. Anny est une actrice américaine très hollywoodienne qui, de nos jours, tourne des films à succès et collectionne les amants dans une vie tourbillonnante où s’invitent la drogue, l’alcool et le sexe. Qu’ont-elles en commun ? A priori rien sauf qu’au cours du roman chacune d’elles qui se sent différente des autres femmes de sa génération et de sa condition va faire usage de sa liberté. Elles sont toutes trois orphelines mais aussi et peut-être surtout elles ont grandi avec l’objectif inconscient de devenir ce que leur époque voulait qu‘elles soient. Un jour, en se regardant dans un miroir, elles prennent conscience que la vie qui va être la leur ne leur convient pas et elles vont librement en choisir une autre, à rebours de leur temps et ainsi non seulement se découvrir elles-mêmes mais surtout se réaliser, s’émanciper. Elles se rejoignent cependant grâce à un livre écrit par Hanna sur la vie d’Anne et que découvre un peu par hasard Anny. Cela peut paraître artificiel mais j’ai toujours été fasciné par le fait que les idées et les faits ainsi relatés avec des mots, confiés au fragile support du papier, passent ainsi la barrière des siècles.

Anna est la victime de l’église catholique qui au cours de son histoire multiplia les erreurs et les crimes au nom de l’Évangile qu’elle prétendait défendre et dont elle se recommandait. Cette femme prônait la communion avec la nature et les animaux dans une époque exagérément religieuse où on accusait facilement, d’hérésie et de sorcellerie et où le feu purifiait tout. Hanna est idolâtrée par un mari, certes amoureux d’elle, mais qui veut surtout avoir une descendance alors qu’elle même n’est pas sûr de vouloir être mère mais s’enthousiasme pour la découverte de l’orgasme à travers une foule d’amants de passage. La vie d’Anny se résume en frivolités ne voyant les hommes que comme des chevaliers servants et surtout comme des pourvoyeurs de plaisirs. Ce sont trois femmes qui décident de briser l’image que leur psyché leur renvoie d’elles-mêmes et de passer de l’autre côté pour découvrir la nature, la réalité de l’image virtuelle, différence de l’image réelle renvoyée par leur miroir.

L’auteur veut-il nous parler de la culpabilité, celle d’Anne pour sa vanité ou sa foi angélique, celle d’Hanna pour n’avoir pas pu avoir d’enfant ou peut-être refuser d’enfanter ou peut-être préférer le plaisir sexuel aux joies supposées de la maternité, celle d’Anny pour la recherche effrénée de la jouissance ? Je ne sais pas mais il y a toujours un embryon, même inconscient, de culpabilité à ne pas vivre comme les autres, mais cela ne dure pas bien longtemps et ces trois femmes ont choisi la liberté. A travers elles, si différentes, l’auteur choisit de nous parler des arcanes de la condition humaine. E-E Schmitt introduit une sorte de dédoublement de la personnalité chez ces trois femmes, comme si l’image qu’elles donnaient d’elles à l’extérieur ne leur correspondait pas, que la mort pour elles n’était pas une désolation, juste un passage et peut-être même une délivrance, qu’elles ont été victimes de la violence de leur temps. C’est vrai pour Anne et Hanna mais pour Anny, comédienne, ce dédoublement est facile puisque cela fait partie de son métier, même s’il y a en elle quelque chose de plus profond, de plus authentique, une sorte d’alchimie qui, à travers un rôle et un livre, fait qu’elle ressemble aux deux autres. Pourtant, si je peux entrer dans la démarche d’Anne se cherchant à travers la nature et Hanna convoquant la sexualité pour explorer l’inconscient, j’ai en revanche un eu de mal à comprendre celle d’Anny, trop artificielle et superficielle à mes yeux et je ne suis pas sûr de suivre l’auteur sur la thématique de fin, liée d’ailleurs à Anny. Ainsi, de ces trois portraits magistraux de femmes, je mettrai à part celui d’Anny. Si la recherche de la liberté me paraît authentique chez Anne et chez Hanna, j’ai ressenti l’actrice américaine en retrait par rapport à cette démarche.

Il reste que lire Eric-Emmanuel Schmitt est toujours pour moi un bon moment et ce roman n’a pas échappé à la règle. ©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com

 

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