Ecritures carnassières
- Par hervegautier
- Le 28/11/2022
- Dans Ervé
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Écritures carnassières – Ervé – Éditions Maurice Nadeau.
C'était plutôt mal parti pour lui qui fut un enfant dont la mère alcoolique se débarrassa comme d'une chose encombrante, puis ce fut un parcours cahoteux de familles d'accueil en foyers avec pour seul refuge la solitude et les larmes face à l'indifférence, aux sanctions des adultes et au temps qui s'étire dans l'ennui. Il n'en faut pas plus pour aimer la marginalité ponctuée parfois d'une amitié fugace, de petits bonheurs, d'échecs, d'abus de toutes sortes, de détestation de soi, d'autodestruction par l’alcool le tabac, la drogue, l’idée du suicide... De "cas social" il devient tout naturellement asocial, peut-être plus mature que les autres enfants, ce genre de circonstances donnant très tôt une autre vision des choses et des gens que celle traditionnellement idyllique de l’enfance. Par réaction, il se fait des illusions d'avenir, se rêve autrement, il lit et même écrit tout ce que sa vie cabossée lui inflige. Il doit se rappeler aussi tous les propos suffisants des bien-pensants, ceux qui proclament à l’envi « qu’il suffit de vouloir pour pouvoir » parce qu’ils ont eu la chance qu’il n’a pas eue. Puis il se dit que les passades éphémères qui ont égrené sa vie n’ont qu’un temps, que le bonheur existe et qu'il n'y a aucune raison qu'il ne soit pas pour lui aussi. Il y eu une rencontre et avec elle tous les fantasmes qu'on se tisse soi-même pour compenser tout ces manques, et pour tenter de faire changer les choses. Ce fut un prénom, Claire, la naissance de ses deux filles, ses deux poumons comme il dit, c’est pour elles qu’il écrit et cela me paraît parfaitement légitime. Nous savons que l’enfance conditionne la vie future et lui qui n’a pas eu d’amour pendant cette période se révèle incapable d’aimer, quitte cette famille qu’il avait créée et voulue pour tenter d’exorciser ce qui ressemble de plus en plus à un destin funeste. Ainsi pour ses filles, il devient « un père absent » qui ne leur donnera pas l’amour auquel elles ont droit. On ne peut donner ce qu’on n’a pas. Comme tous les malheureux qui font ce qu’ils peuvent pour s’en sortir, il n’échappe donc pas à cette règle non-écrite qui fait qu’on reproduit malgré soi l’exemple qu’on voulait précisément éviter. Elles aussi manqueront de son affection. Son univers devient donc la rue, l’errance, la manche et les petits bulots pour survivre... Il n’est pas clochard, même s’il le dit souvent, puisqu’il se déplace sur le cadastre national et même au-delà des frontières, qu’il voyage et on songe à Jack Kérouac et peut-être aussi à la génération perdue qu’il incarna, on pense surtout à une fuite qui ne dit pas son nom pour échapper à ses semblables marginaux, aux regard des autres, à sa région sinistre et sinistrée et peut-être aussi à lui-même, à ses erreurs, à son mal-être, avec sa solitude pour seule compagne...
De courts chapitres d'une écriture « carnassière » c’est à dire féroce, abrupte, saccadée, comme la marque d’une révolte contre l’adversité. Elle n’est pas vraiment académique, se moque de la chronologie , mais elle a du caractère, est dénuée d'artifices et les moments de poésie et de paroles de chansons cachent mal les fêlures et le désespoir de cet écorché-vif. Dans son cas, l’écriture est un témoignage, celui d’un être qui choisit ainsi de réagir contre sa condition et ce faisant, en mettant des mots sur ses maux, il les adoucit au moins temporairement, même si j’ai toujours douté de l’effet cathartique de l’écriture. Il s’en sert pour exorciser ce destin néfaste et je ne suis pas sûr, malgré les apparences qui, nous le savons, sont trompeuses, que cela soit effectivement efficace simplement parce que les séquelles malsaines de cette enfance ont la vie dure.
Le hasard fait parfois bien les choses qui fait se rencontrer des êtres qui n'auraient sans cela eu aucune chance de le faire. Tel a été le cas quand l'écrivain Guy Birenbaum a croisé Ervé qui à l'époque était SDF et s’intéressa à lui. Il y aurait donc une justice (immanente?) qui rectifierait parfois les épreuves que la vie ne manque pas de nous envoyer, et cette malchance qui s'accroche à vous et ne vous lâche pas. Cette expérience semble donc avoir un épilogue heureux et ouvrir à Ervé des perspectives d’avenir. Tant mieux pour lui, il a eu de la chance dans son malheur, est sorti de sa condition en devenant écrivain, son premier livre est publié, c’est à dire qu’il a réalisé son rêve. Pourtant, à un moment où il est difficile de trouver un vrai éditeur sans avoir un bon parrainage, ou sans payer parfois cher sa prestation sans pour autant que la promotion du livre soit correctement faite, l’aventure que vit Ervé est plutôt rassurante et peut-être encourageante pour la foule de ceux, et ils sont nombreux, qui se voient contraints de remiser leur manuscrit dans la poussière d’un tiroir... et d’abandonner leur projet. Pour une fois qu’un éditeur, qui est un découvreur de talents, fait effectivement son métier, il serait vain de s’en plaindre.
Le livre refermé, cette histoire que j’ai lue avec attention et intérêt me laisse quelque peu perplexe. Je ne suis qu’un simple lecteur qui n’ait, par chance, jamais dû vivre sans toit mais, si je comprends la volonté de l’auteur de fonder une famille pour tenter d’oublier son enfance désastreuse, je reste dubitatif devant sa décision de revenir dans la rue et dans la marginalité avec son lot de mépris et de violences en oubliant ses responsabilités de père, ce qui aura sûrement les mêmes conséquences sur la vie de ses filles que l’irresponsabilité de sa mère a eue sur la sienne. Il a certainement tenté d’inverser le cours des choses mais elles se sont imposées à lui, malgré lui. D’une certaine manière et même s’il dit se détester, il fait valoir une certaine forme de liberté face à sa double paternité non assumée, laissant à sa compagne le soin de s’occuper de sa progéniture. Confesser son amour pour ses filles et sa femme est, dans ses conditions, sûrement insuffisant pour elles. D’autre part, il raconte son histoire qui est celle de beaucoup de gens jetés dans la rue à la suite d’accidents de la vie et ils seront sans doute nombreux à s’y retrouver.
J’ai bien conscience que je suis assez mal placé pour juger cet ouvrage et surtout le message qu’il contient, même si, toutes choses égales par ailleurs, mon empathie personnelle me fait partager ce mal-être.
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