la feuille volante

CARTAGENA CARAÏBE ET COLOMBIENNE – Bernard Lucquiaud

  

 

N°473– Novembre 2010

CARTAGENA CARAÏBE ET COLOMBIENNE – Bernard Lucquiaud – Éditions du Panthéon.

 

Qu'est ce qui fait que nous éprouvons le besoin de relater par écrit une partie de notre vie, de transmettre aux nôtres et aussi aux autres une expérience qui nous a marqués ? Pourquoi choisissons-nous de privilégier un moment de celle-ci plutôt qu'un autre ? Peut-être parce qu'il a été plus créatif, plus enthousiaste, plus émouvant, qu'il a été riche en rencontres et en circonstances d'exception en quelque sorte ...

 

C'est sans doute le cas pour Bernard Lucquiaud qui, venant de Toronto (Canada) où il avait été professeur dans le cadre de l'Alliance Française, a pris la direction de l'antenne de Carthagène en Colombie. S'en suivirent six années pendant lesquelles il eut à remettre sur pied cet établissement voué au rayonnement de notre culture et notre si belle langue. Cela n'a pas été facile et il a fallu en passer par des exigences et des contingences, des mondanités aussi. Malgré des moyens financiers parfois dérisoires, il lui a fallu de l'imagination, de la créativité, du culot, de la chance, de la bonne volonté, du courage pour affronter les truands mais aussi l'administration et la diplomatie, un grand sens de l'organisation, de l'abnégation aussi pour finalement faire évoluer les mentalités, reculer la délinquance, faire naître des vocations professionnelles et finalement, dans le contexte de l'amitié colombo-française, de donner de notre pays une belle image, c'est à dire celle qu'il mérite.

 

« Carthagène des Indes », une ville coloniale et andalouse, un nom qui fleure bon le dépaysement, l'aventure, les terres lointaines, les tropiques, l'exotisme, l'ensorcellement du lieu aussi. On la surnomme d'ailleurs « la perle des Caraïbes ». L'auteur aborde cette ville avec les yeux émerveillés de l'étranger mais aussi avec dans la tête toutes les connaissances de la civilisation pré-colombienne, le mythe de l'El Dorado, l'histoire de ces Espagnols en quête de l'or, arrivés par la mer et que les Indiens prenaient pour des dieux, de la folie qui s'était emparé des conquistadors qui n'étaient bien souvent que des voyous, de l'extermination de cette civilisation au nom de la recherche du profit aussi de l'inquisition, de la colonisation... L'enseignant qu'il est se fait guide touristique et aussi refait l'histoire pour son lecteur, émaille son propos de citations littéraires, mais le pays de cocagne, la terre de tous les superlatifs est régulièrement pillée, se défend parfois victorieusement, est en partie détruite, renaît de ses cendres, devient un port négrier au XVIII° siècle et accède à l'indépendance avec Bolivar.

 

Mais tous ses rêves d'enfant tissés au fil des lectures et de l'imaginaire deviennent d'un seul coup des réalités d'adulte, tout cela va s'évanouir et faire place rapidement à la déception. La circulation y est désordonnée, les transports publics approximatifs, le service de santé folklorique, la corruption est partout, le trafic de drogue fait partie de l'économie, la criminalité est omniprésente, l'insécurité est quotidienne, la mort rode ... Pour cette antenne de l'Alliance française, les subventions sont minces, parfois détournées, l'auto-financement et souvent la débrouille deviennent la règle pour obtenir l'équilibre financier. Entre vivoter et se développer, il a choisi, mais cette politique d'épanouissement due à son ambition de directeur n'est pas sans soulever des difficultés, susciter des critiques, froisser des susceptibilités et générer des échecs ... Mais ici tout est différent, l'extraordinaire est banal, il n'y a pas de fêtes sans alcool, sans euphorie, sans extravagances, sans couleurs, sans musique...

 

Le professeur de Lettres qu'il reste cependant ne peut pas ne pas rencontrer Gabriel Garcia Marques, le fabuleux « Gabo », dont le talent sera, quelques années après cette rencontre, consacré par le prix Nobel de littérature. Son parcours personnel, chaque moment de sa vie et de celle de sa famille nourrissent son écriture et deviennent autant de romans qu'il a su, avec génie, faire partager à son lecteur, avouant lui-même que « La vie n'est pas ce que l'on a vécu, mais ce dont on se souvient et comment on s'en souvient ».

 

Une telle expérience ne saurait laisser celui qui la vit indifférent. Il en tire nécessairement un enseignement sur le peuple qu'il a appris à connaître, mais il ne suffit pas de faire rayonner sa propre culture en la considérant comme supérieure à celle des autres. A l'heure de le mondialisation, il conclut en paraphrasant Candide « il faut cultiver ensemble le même jardin, notre planète » car la nature que l'homme asservit et tue de plus en plus lui est pourtant essentielle. Il clôt ce récit par une réflexion personnelle et une manière d'avertissement à la fois humaniste et écologiste « Homme, arrête de convoiter ton voisin et de le mépriser... C'est en puisant dans nos cultures respectives et en respectant notre environnement que nous assurerons l'avenir de nos enfants ».

 

Il ne s'agit pas d'un roman comme il est dit dans la préface, mais d 'un témoignage rédigé dans un style narratif et anecdotique, plein de détails et parfois même émaillé d'humour et d'images poétiques qui témoignent de cette aventure d'exception. J'ai lu ce livre avec le yeux d'un sédentaire toujours émerveillé par les voyages lointains, par une ville jusqu'alors inconnue, maintenant vouée à la modernité et assurément fascinante. Je reste admiratif devant son action personnelle en faveur de la France mais aussi attentif au rayonnement de notre culture. Il nous rappelle opportunément que nous sommes tous citoyens du monde.

 

 

 

  

©Hervé GAUTIER – Novembre 2010.  http://hervegautier.e-monsite.com

 

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