DIPLOMATIE EN KIMONO – Frédéric LENORMAND
- Par hervegautier
- Le 16/10/2009
- Dans Frédéric LENORMAND
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N°372– Octobre 2009
DIPLOMATIE EN KIMONO – Frédéric LENORMAND - FAYARD.
Cette fois, nous somme à l'hiver 678 et le juge Ti, âgé de 48 ans est devenu Directeur de la police Civile Métropolitaine dans Chang-an, capitale des Tang. Autant dire qu'il a eu de la promotion! Ses fonctions l'amènent à recevoir une délégation japonaise venue, avec d'autres, étudier la culture chinoise pour s'en inspirer et être reçus par Sa Majesté. Le voilà donc devenu diplomate, même si ces peuplades de l'Est étaient considérées par les Chinois comme des barbares mal dégrossis !
Pourtant, même s'il est chargé de « surveiller » ses hôtes dans leur découverte de la Chine et de sa civilisation, Ti, sous couvert de leur faire découvrir « les bonnes manières », c'est à dire l'étiquette, le protocole en usage à la Cour mais aussi la grandeur de l'Empire du Milieu, sa position centrale dans le monde, ses connaissances et bien sûr la magnificence de son Empereur, est en fait chargé de leur faire une démonstration de l'implacable justice impériale. Cela tombe bien puisqu'il reste un incorrigible enquêteur et semble constamment en situation de démêler différentes affaires criminelles aussi compliquées que pleines de rebondissements. Il le fait avec d'autant plus de brio que, non seulement il a la passion de la vérité, un sens de l'État affirmé, une fidélité sans faille à son Empereur, qu'il a une réputation de fin limier et de magistrat intègre à soutenir, mais aussi parce qu'il découvre que la pédagogie judiciaire fait aussi de ses fonctions temporaires.
En fait, ces émissaires ne pouvaient avoir meilleur cicérone, non seulement ils recevront le message officiel pour lequel il sont venus en Chine, mais surtout, ils apprendront « la culture personnelle du juge Ti », puisque ce dernier ne pourra s'empêcher de leur faire la démonstration de ses méthodes pour le moins originales et efficaces pour déjouer les manœuvres frauduleuses des délinquants! Il ne manquera pas non plus de leur livrer, laconiquement bien sûr, son avis sur leur civilisation.
En réalité, au fil du récit, ces « barbares » se révèlent être des esprits à la fois brillants et retors, des observateurs avisés et habiles, des doubles de Ti en quelque sorte, et aussi rusés que lui, et ce dernier aura besoin de toute son expérience, de sa légendaire sagacité, pour déjouer les pièges qu'ils lui auront tendus. J'observe d'ailleurs qu'il y sera aidé, comme souvent, par une de ses épouses, mais ce sera pour une fois la deuxième, et sa remarque qui ouvre les yeux de notre juge, est pleine de bon sens, comme si elle était, elle-aussi, le complément de cet époux d'exception.
Au passage, le lecteur découvrira la personnalité hors du commun de ce magistrat pragmatique qui, tout pétri de confucianisme, culte en usage chez les élites, jettera une nouvelle fois un regard de méfiance quelque peu amusée sur les pratiques superstitieuses des chamanistes, sur les habitudes mercantiles des bouddhistes et l'efficacité douteuse des taoïstes. On sent bien un nouvelle fois qu'il tient les religions en usage dans l'Empire en petite estime.
Je note aussi que l'auteur prête à Ti, à l'issue de cette aventure un peu rocambolesque, à la fois des conclusions sur la relativité des choses de ce monde [« la vie est un jeu et celui qui s'appuie sur ses certitudes perd la partie » se dit-il] mais aussi des remarques qui trouveront dans l'histoire future de ces deux pays des conséquences plus tristes, faisant de lui, une nouvelle fois, un observateur avisé.
Comme toujours un roman de Frédéric Lenormand procure à son lecteur une véritable immersion dans la société chinoise à son apogée, autant par la qualité des descriptions, l'évocation des différentes couches de la société et son organisation, que par les allusions aux us et coutumes, aux procédures judiciaires, aux rituels en usage à la Cour, aux préparatifs des fiançailles et du mariage, au code des Tang, à l'histoire du pays, et même l'art culinaire.... C'est comme un fond de tableau, un décor vivant qui sert de cadre aux aventures de ce célèbre mandarin et dans lequel il se déplace avec aisance. Fin connaisseur de la condition humaine et de « l'esprit humain » dont il est un incorrigible observateur, il ne manque jamais une occasion de retourner une situation en sa faveur et de sauver la face.
On imagine aussi le considérable travail d'archiviste et d'historien de l'auteur. Cela procure, comme à chaque fois, un dépaysement bienvenu que personnellement j'apprécie. Il y ajoute son humour personnel, l'usage opportun de l'euphémisme, son sens de la formule, son a-propos, s'appropriant en quelque sorte ce personnage et lui conférant une attachante sincérité.
Pour peu qu'il soit attentif, son lecteur ne peut pas ne pas sourire en parcourant ce texte. J'ai personnellement et comme toujours, ri de bon cœur à la lecture de ce roman. J'ai retrouvé avec plaisir le style jubilatoire que j'apprécie particulièrement chez cet auteur qui suscite l'intérêt de son lecteur dès la première ligne pour ne l'abandonner qu'à la fin sans que l'ennui se soit insinué dans le cours du récit. Ils ne sont pas si nombreux ceux qui peuvent se targuer de réussir un tel exercice.
Frédéric Lenormand n'est pas un inconnu pour cette chronique qui a choisi depuis longtemps de suivre son parcours. Encore une fois je n'ai pas été déçu par ce récit qui a été pour moi un bon moment de lecture.
©Hervé GAUTIER – Octobre 2009.http://hervegautier.e-monsite.com
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