L'ART DELICAT DU DEUIL - Frédéric LENORMAND - Fayard.
- Par hervegautier
- Le 29/03/2009
- Dans Frédéric LENORMAND
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N°312 – Septembre 2008
L'ART DELICAT DU DEUIL – Frédéric LENORMAND - Fayard.
Le juge Ti est chargé d'administrer la ville de Han-yuan où se déclenche une étrange épidémie. Conscient de ses responsabilités qui lui enjoignent de faire respecter l'ordre public face à la panique qui s'empare de la population, ce magistrat balance entre la médecine chinoise à laquelle il croit et les pratiques incantatoires des trois autres religions pratiquées à cette époque que son confucianisme militant incline à mettre en doute.
Ti, toujours aussi dubitatif déjoue facilement les pièges des charlatans qui se proposent d'enrayer cette maladie. Pourtant, pour incrédule qu'il soit au regard des religions en général et des choses étranges en particulier, notre magistrat se résout à donner dans ce travers, et y trouve même des vertus. Cependant, une autre série de meurtres vient compliquer les choses, ou à tout le moins vient lui donner l'occasion d'aiguiser son sens critique et sa logique pour dénouer les fils compliqués d'une intrigue à éclaircir, d'éclairer la plus ténébreuse des affaires criminelles, de confondre les meurtriers de tout poil, de sorte que cela devient rapidement une affaire où la jalousie le dispute à l'adultère, l'intérêt personnel aux pires crapuleries, ce qui plonge notre sous-préfet dans un abîme de perplexités. Comme toujours, face au spectacle offert par la turpitude humaine et aux problèmes qui pour lui en découlent, il agit avec méthode et oppose son intelligence et aussi sa mémoire aux allégations basées sur les démons et autres spectres maléfiques porteurs de mort. La dialectique confucéenne dont il est un fervent adepte le conduit à rechercher des causes bien réelles à des phénomènes étranges et surnaturels dont cette société est friande, entretenus, il est vrai, par la culture des autres religions.
Voilà que notre mandarin, après avoir frôlé la mort, a soudain conscience des choses et porte désormais ses soupçons sur un notable de la ville. Il charge sa fidèle première épouse, Dame Lin, encore elle, d'enquêter pour son compte, ce pour quoi elle excelle. Ainsi doit-il se résoudre à un subterfuge légal mais astucieux pour s'assurer de la personne d'une criminelle ce qui aurait été d'autant plus difficile qu'elle appartient à la noblesse. On sait que dans la société chinoise d'alors, cette caste est censée être un pilier de l'Empire. Ce faisant, il démonte facilement une machination qui prenait toute la ville en otage et dont l'épidémie n'était que la manifestation, aussi fausse d'ailleurs que les démonstrations surnaturelles constatées. Ainsi établit-il que toute cette histoire de fantôme et de contagion qui avait secoué cette petite ville n'était pas autre chose qu'un montage trompeur et criminel.
Pourtant Ti, s'il est un clairvoyant et implacable juge, n'en est pas moins humain et respectueux des apparences religieuses, surtout quand elles servent ses desseins et sauvegardent également la paix publique dont il est la garant. Cela lui vaut, bien entendu, l'inimitié de la population dont il a la charge, mais peu lui chaut, son devoir avant tout, et sa prochaine mutation la lui fera oublier!
L'écriture d'un livre est un exercice difficile, mais le titre que l'auteur lui donne ne l'est pas moins. Il doit être à la fois explicite, évocateur et incitatif pour le lecteur. A la différence sans doute des autres volumes de cette série, celui-ci m'interroge. Dans une intrigue policière, il y a forcément des morts. Le deuil qui en résulte tient à la fois du chagrin personnel et des conventions sociales. Dame Lin, en digne représentante de son époux et aussi en tant que membre de la bonne société, excelle dans le respect de ces rituels. Pour autant, elle a parfaitement le droit d'être réellement attristée par la mort d'un jeune étudiant qui lui est étranger mais pas indifférent. Un témoin extérieur peut aisément faire la confusion entre la peine qu'elle peut éprouver pour cela et les obligations qu'imposent les convenances à la suite du décès d'un notable, surtout si ces deux morts sont concomitantes. C'est sans doute en cela que le deuil est un art délicat, comme le suggère le titre.
Cela dit, j'ai, une nouvelle fois, pris du plaisir à lire ce roman. Comme j'ai souvent eu l'occasion de l'écrire dans cette chronique [La Feuille Volante n° 290, 291, 292, 293, 294, 301 ,302, 307,308,309, 310], l'auteur suscite l'intérêt de son lecteur dès les premières pages pour le conduire jusqu'à la fin, sans que l'ennui se soit jamais insinué dans sa lecture. Le style, à la fois humoristique, plaisant et respectueux de la langue, le récit dépaysant et documenté font de ce voyage immobile un vrai moment de plaisir.
© Hervé GAUTIER - Septembre 2008.
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