Ne tirez pas sur le philosophe
- Par hervegautier
- Le 17/01/2018
- Dans Frédéric LENORMAND
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La Feuille Volante n° 1206
Ne tirez pas sur le philosophe – Frédéric Lenormand – JC Lattès.
Ah, ce Voltaire, toujours aussi inénarrable ! Nous sommes en 1735 et il revient à Paris après un an d'exil volontaire en Lorraine chez Mme du Châtelet. La publication l'année précédente des « Lettres philosophiques » où il vantait l'esprit de liberté qui soufflait en Angleterre et par conséquent où il dénonçait implicitement l'intolérance des institutions française, lui avait valu une condamnation par le Parlement, mais, contrairement à ce qu'il espère, les parisiens l'ont complètement oublié ce qui constitue à ses yeux un crime de lèse-philosophe inacceptable. L'exil, il l'avait déjà connu dix ans plus tôt, en Angleterre notamment, et même s'il en avait eu quelque agrément, il lui tardait de retrouver Paris. Il fallait donc qu'il existât à nouveau et pour cela il était capable de tout ! Comme la fortune sourit aux audacieux, il rencontre une famille de Huguenots spoliés par des moines et qui demande son aide ! Eu égard aux sentiments que Voltaire nourrit à l'endroit de l’Église catholique, l'occasion est trop belle. Las, ce dossier est trop administratif et on transigera. Il ne se prête guère aux grandes envolées lyriques et aux considérations personnelles si prisées de notre philosophe, et puis on n'en est pas encore à l'affaire Callas, ce sera pour plus tard (1762). Éternel valétudinaire et toujours désireux de s'intéresser aux progrès de la médecine, il se rend chez un taxidermiste un peu chirurgien mais aussi empailleur d'être humains, amateur de cabinet de curiosités, qui s'apprête à momifier le corps d'une malheureuse soubrette pendue la veille… pour vol de culottes ! Or, le bourreau ayant mal fait son office, elle vit encore et se réveille sur sa table de dissection. Il n'est donc plus question, pour l'homme de l'art, de lui faire rejoindre sa collection, comme il en avait l'intention. Comme il s'avère que la suppliciée ayant été condamnée pour un délit qu'elle n'avait pas commis, elle était donc victime de l'arbitraire. Voltaire tient là son affaire : Il va pouvoir revivre !
Lors de son exil volontaire au château de Cirey, Voltaire, avait noué des liens intimes avec Mme du Châtelet, une femme de sciences d'une grande valeur intellectuelle, que notre philosophe encouragea dans ses études sur les mathématiques. Il la retrouve, évidemment, lors de son retour dans la Capitale et, à la suite d'un pari un peu stupide avec elle, est dans l'obligation de poursuivre cette enquête judiciaire où il est amené à fréquenter la police et les ecclésiastiques qu'il n'aime guère et les marquises qu'il prise beaucoup plus, pour dénouer les fils un peu compliqués de cette affaire où il est question de cuillères dérobées, de fausses lettres de créances et de morts bien suspectes.
J'ai apprécié d'arpenter les rues et les quartiers de ce Paris du XVIII° siècle grâce à l'auteur et d'en apprendre davantage sur l’origine d'expressions datant de cette époque comme par exemple « faire des économies de bout de chandelles ». Comme toujours (cette chronique parle depuis de nombreuses années des romans de Frédéric Lenormand), j'ai eu plaisir a retrouver le style alerte de l'auteur et ses livres me procurent toujours un agréable moment de lecture. J'aime beaucoup son humour et la façon qu'il a de l'exprimer. C'est savoureux ! Si on en croit les appendices, cette histoire de pendaison avortée serait réelle et même si l'auteur, quelque peu facétieux, nous donne à voir un Voltaire qui ne l'est pas moins, j'ai bien aimé, comme toujours, le rencontrer sous la forme d'un enquêteur génial. J'ai ri de bon cœur aux répliques que Lenormand attribue à notre philosophe autant que les situations dans lesquelles il le met. Après tout, faire de l'auteur de Candide le héro d'un roman policier, pourquoi pas ? Et n'est-ce pas le rôle d'un philosophe des Lumières de se pencher sur le sort de l'humanité ? D'ailleurs, plus tard, il se consacrera effectivement à cet aspect de la société, imprimant sa marque dans le domaine judiciaire (Affaires Callas, Sirven, La Barre, Montbailli, Lally-Tollendal).
C'est vrai après tout, ne tirez pas sur le philosophe Voltaire puisque, à l'instar du pianiste de saloon d'Oscar Wilde, il fait ce qu'il peut pour exister, pour qu'on ne l'oublie pas parce qu'il veut surtout qu'on parle toujours de lui. Apparemment ça marche toujours !
© Hervé GAUTIER – Janvier 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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