LE MONSTRE – Gaston Cherau -Geste Editions.
- Par hervegautier
- Le 01/04/2009
- Dans Gaston CHERAU
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N°282 – Octobre 2007
LE MONSTRE – Gaston Cherau -Geste Editions.
C'est un récit peu connu d'un écrivain injustement oublié que je viens de lire.
Dire que Gaston Cherau est « le puisatier de l'âme » comme l'écrit excellemment le préfacier est une évidence qui ira se dévoilant tout au long de cette nouvelle comme d'ailleurs dans toute son œuvre et dans toute cette carrière d'écrivain à laquelle il semblait voué de toute éternité.
L'auteur nous livre donc cette histoire pas si simple que cela, « avec recueillement... sans rechercher à expliquer les actes... sans essayer d'en tirer des enseignements ». Peut-être, mais il s'est fait ici non pas tant le témoin d'un fait de société rurale d'un autre âge, mais, à mon sens, le narrateur plein de compassion devant une réaction inhumaine qui est pourtant le fait d'êtres humains. L'homme vivant en société est prompt à jeter l'anathème sur tout ce qui n'est pas normal, c'est à dire conforme à ce qui se fait, aux bonnes mœurs, à la morale, à la loi, à la bienséance. Cette assemblée a érigé des coutumes, mais aussi des non-dits, des hypocrisies, des tolérances... La vie en commun impose ses entraves à la liberté individuelle qui en génère une autre, plus collective et dont tout le monde profite: l'ordre social. Mais là, il ne s'agit pas de cela. C'est tout bonnement l'histoire d'un enfant, François, qui paie pour une faute qu'il n'a pas commise, qu'on a déclaré pour cela et pour cela seulement, exclu du groupe, et donc d'une certaine façon qu'on considère comme « maudit ». Devant cet oukase, il ne peut que s'incliner, se créer un monde à lui, solitaire. Les réactions grégaires font le reste. On y rajoute un peu de méchanceté, un peu de haine aveugle, un peu d'incompréhension et de volonté de chacun d'apporter sa pierre à cet édifice patiemment édifié et qu'il faudrait pourtant jeter à bas.
Cette lecture est pleine d'enseignements d'autant qu'elle est livrée telle quelle, sans commentaire. C'est une invitation, par delà les faits relatés, à observer autour de nous, car Gaston Cherau fut non seulement le peintre de la société de son temps, paysanne ou citadine, mais aussi celui de la condition humaine. Il s'agit ici d'évoquer le désarroi d'un être que tous rejettent sans qu'il lui soit jamais possible de racheter une faute qui n'est pas sienne et qui lui est constamment reprochée. Je choisis d'y voir l'image de la « tâche originelle » dont notre notre éducation judéo-chrétienne est si friande, une sorte de culpabilité qu'on ne comprend pas bien, mais dont on nous rebat constamment les oreilles, comme s'il convenait de nous faire admettre cela comme une évidence inhérente à notre condition d'homme et qui doit constamment demeurer présente à notre esprit, pour mieux asservir notre volonté. Chacun se croit obligé, par sa malveillance, de lui faire payer ce qu'il considère comme une tare. Toute sa vie, ce François sera relégué au second plan, comme s'il n'existait pas, ne trouvant d'amour que chez sa mère, elle-même mise à l'écart par les siens et qui poussera à l'extrême cet attachement pour son fils.
Il y a l'épisode de la mare, le refus de la mère, également victime, de se donner la mort, malgré la nouvelle malédiction qui pèse sur elle et qui n'est pas sans rappeler la première. Elle veut quand même, et malgré tout, rester en vie parce qu'elle est le seul rempart pour protéger son fils. François se met à sa recherche jusqu'au fond de ce cloaque parce qu'il est uni à elle non seulement par cet amour charnel qu'il ne peut connaître avec d'autres femmes mais aussi parce qu'ils partagent le même destin funeste.
J'observe aussi que ce François est mis au monde dans une étable, par une mère qui accouche seule, comme ce fut le cas pour le Christ. Je note aussi l'attitude du curé qui, certes n'a pu avaliser un avortement ou un infanticide, donne quand même au nouveau-né le sacrement de baptême, mais en catimini, comme si Dieu lui-même se mettait de la partie.
Et puis, il y a l'épilogue, la fuite, avec pour seule boussole le hasard, avec l'issue fatale qu'on suppose. Cette mort qui fait parti de la condition humaine revient souvent dans l'œuvre de Gaston Cherau.
Y a-t-il quelque chose de Cherau dans cette nouvelle? Indubitablement oui. Les relations difficiles qu'il a eues avec son père, le mal-être qui en est résulté, sa décision de devenir fonctionnaire des Contributions Directes et avec elle le départ de ce Poitou, alors qu'il était probablement destiné à reprendre la direction de l'industrie familiale, la figure de la mère aimante qui est ici célébrée...
Cherau est également un magnifique écrivain, un créateur talentueux qui, avec des mots simples mais choisis, évoque pour son lecteur, paysages et situations. La scène électrique de la grange par temps d'orage, l'odeur de la balle pendant les battages, l'accouchement solitaire aux petites heures de l'aube mais aussi la quiétude retrouvée qui baignait la ferme du Chebroux après le départ de ceux qu'on aurait voulu ne jamais avoir connus.
© Hervé GAUTIER - Octobre 2007.
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