QUELQUES MOTS SUR GASTON CHERAU [1872-1937].
- Par hervegautier
- Le 01/04/2009
- Dans Gaston CHERAU
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N°280 – Septembre 2007
QUELQUES MOTS SUR GASTON CHERAU [1872-1937].
Il est des écrivains injustement oubliés que le hasard, par le biais de publications ou d'études pertinentes, fait découvrir aux lecteurs curieux. Gaston Cherau est de ceux-là. Le résumer en quelques mots tient de la gageure. Chantre de la province ou plutôt de deux provinces, le Poitou et le Berry [Champi-Tortu, Valentine Pacquault, le flambeau des Riffault]qu'il connut grâce à ses origines familiales, mais aussi des rivages atlantiques [La saison balnéaire de M. Thébault, Le Vent du destin], il le fut sans conteste, tout comme il fut celui de la nature[Le grelet de Marius, L'ombre du Maître, La maison de Patrice Perrier]. Bien que citadin, il ne goûta guère les villes de province, leur décor et surtout leurs habitants qu'il vilipenda. Il resta ancré dans cette terre nourricière de son œuvre dont l'eau est puisée à la source de l'enfance.
Il eut le courage de quitter un emploi sûr de fonctionnaire qui ne convenait ni à son talent littéraire ni à ses aspirations pour embrasser celui, plus risqué, de vivre de sa plume. Il fut donc journaliste, conférencier, chroniqueur, écrivain... Ce n'est pas là la moindre de ses qualités mais bien lui en prit et la notoriété vint heureusement couronner une œuvre aux multiples facettes, riche, mais malheureusement inachevée.
Certaines des ses œuvres sont empruntes d'un humour où parfois venait s'insinuer quelques diatribes comme, dans « Monseigneur voyage »[un roman délicieusement anticlérical et délicatement iconoclaste], qu'il qualifia lui-même de « péché de jeunesse » mais qu'il ne renia pas. Il fut cependant un extraordinaire témoin de son temps, peignant à l'envi la société des hommes dans laquelle il vivait. Il fut le contempteur amusé des travers humains[Les grandes époques de M. Thebault,La saison balnéaire de M. Thébault ] Il savait être à la fois critique de la société des villes[Champi-Tortu, Valentine Pacquault] et de celle des campagnes[Le flambeau des Riffault]. ll fut un écrivain qui a su analyser la psychologie de ses personnages, leur prêter plus qu'une vie littéraire[la prison de verre]. Pourtant, c'est de la condition humaine qu'il fut le témoin. Son oeuvre en est le miroir sans concessions. Parmi l'activité dévolue aux hommes dans la société dans laquelle ils vivaient, la politique était un apanage masculin. Dans « L'enfant du pays », il exprime clairement son mépris pour ce milieu.
La société qu'il avait choisi d'observer et de peindre est faite d'hommes, mais aussi de femmes. Gaston Cherau, qui fut « ce brillant analyste » du cœur féminin n'oublia pas ces dernières qu'il évoque à travers un panel de personnages, de la domestique à la femme mariée à qui il réserve un rôle plus particulièrement quotidien et ménager mais aussi dévolu à l'éducation des enfants, à la transmission de la vie et à qui la religion servait bien souvent de refuge. Il fut, là aussi, le témoin de son époque. A travers différentes figures, il leur prêta même une sorte de folie destructrice [Le grelet de Marius, le vent des destin] mais su aussi aborder le thème difficile à son époque de la sexualité[ Valentine Pacquault,la prison de verre,La maison de Patrice Perrier].
Il sut aussi cultiver l'amitié, celle qui n'est ni oublieuse ni intéressée. Quand il fut académicien Goncourt, il milita pour la reconnaissance de jeunes talents et Ernest Perrochon, alors peu connu, obtint le prestigieux prix littéraire grâce notamment à son appui discret. Il favorisa l'élection à cette académie de Georges Courteline et de Roland Dorgeles et plus tard, comme directeur littérraire aux éditions Ferenczi, il attira Colette et Maurice Genevoix. Lors d'une recontre impromptue avec ce dernier, alors presque inconnu, Gaston Cherau décida spontanément de retarder la publication de son roman « Celui du bois Jacqueline », de la même inspiration et empruntant le même décor solognot que « Raboliot » alors à l'état de manuscrit, de Genevoix. Il souhaitait en effet que sa notoriété ne fît pas de l'ombre à ce jeune auteur dont il appréciait l'oeuvre naissante. Nous étions en 1925 et Maurice Genevoix obtint, cette année-la, le Prix Goncourt pour son roman.
Écrire! On oublie un peu vite que cela ne consiste pas seulement à aligner des mots qui font des phrases, des chapitres et des livres. Gaston Cherau est de ces écrivains qui rappellent par leur style même qu'écrire c'est susciter cette délicate alchimie au terme de laquelle il se produit chez l'auteur quelque chose où le travail le dispute à l'inspiration et chez le lecteur un intérêt pour le récit, pour la manière dont il est relaté et qui le pousse à lire, jusqu'à la fin! Cette même chose, à la fois simple et compliquée, et somme toute assez incompréhensible, Gaston Cherau l'exprime à sa manière « Avec deux mots placés au bon endroit...tout prendra aussitôt de la vie. On se trouvera là où l' écrivain aura voulu vous faire venir et l'on ne sera pas comme spectateur-on y sera comme un acteur même du drame ou de la comédie ». Comme chez bien d'autres écrivains de son époque, je retiens de lui ce ciseleur de la phrase, cet artisan du verbe qui savait si bien, par l'usage qu'il en faisait, servir notre si belle langue française!
Je n'ai pas l'intention de me livrer à une exégèse de l'œuvre de Gaston Cherau. D'autres l'ont fait mieux que je ne saurais le faire, mais ce que je souhaite garder de lui, c'est certes l'image d'un écrivain capable d'intéresser et d'émouvoir son lecteur, mais il n'y a pas que cela. A l' heure où l'homme n'est plus qu'un numéro dans une société qui lui demande essentiellement d'être performant, rentable et parfois l'incite largement à la délation et à l'élimination de ses semblables devenus concurrents, je veux retenir de lui l'empreinte de l'humaniste pétri d'humanité et de modestie, en un mot quelqu'un de bien. Un critique contemporain [Serge Barraux] ne s'y est d'ailleurs pas trompé disant de lui qu'il a été « dédaigneux de toutes réclames parce qu'il trouvait dans la noblesse de son art les hautes satisfactions dont peu savent se contenter au pays des Lettres »
© Hervé GAUTIER - Septembre 2007.
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