Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ? Georges Perec
- Par hervegautier
- Le 24/12/2010
- Dans Georges PEREC
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N°486– Décembre 2010.
Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ? – Georges Perec* - Denoël.
Il est des livres qu'on apprécie pour l'histoire qu'ils racontent, parce qu'elle est émouvante ou simplement ordinaire, d'autres retiennent notre attention par leur côté déjanté.
Ici l'idée consiste pour quelques copains, dont le narrateur, de tenter de faire réformer en l'estropiant un de leur camarade, « Un mec qui s'appelait Karamanlis ou quelque chose comme ça : Karawo? Karawasch ? Karacouvé ? Enfin bref Karatruc... [son nom variera d'ailleurs beaucoup au cours du récit et on ne manquera pas de remarquer qu'il en change beaucoup plus souvent que de chemise !] deuxième classe dans un régiment du Train à Vincennes depuis quatorze mois», qui ne veut pas aller en Algérie pour y faire la guerre.
Ils bénéficient du concours actif et amical de « Henri Pollack soi-même, maréchal des Logis ... qui menait une double vie : tant que brillait le soleil, il vaquait à ses occupations margistiques... mais quand sonne la demi de dix huit heures... il regagnait son Montparnasse natal où c'est qu'il avait sa bien-aimée, sa piaule, ses potes et ses chers bouquins ». C'est que notre ami, subséquemment appelé du contingent, s'ennuie ferme au Fort Neuf de Vincennes, dans « ce Bon Dieu de Bon Dieu de Saloperie de Service Militaire ». Contrairement aux gradés de carrière, il est plutôt sympathique et bien vu, la preuve, les hommes du rang « l'ovationnait de divers cris d'oiseaux » au lieu de le saluer réglementairement. Il chevauche, pour se rendre à Montparnasse, un vélomoteur pétaradant dont le guidon est chromé.
C'est en tout cas l'occasion, pour l'auteur pas vraiment militariste, de dénoncer les méthodes d'enrôlement que, évidemment, il réprouve. Il le fait avec le talent que nous lui connaissons et dans une manière qui n'aurait certainement pas déplu à Boris Vian [à qui un discret hommage est rendu sous la forme d'un nom de rue], un autre grand contestataire de la chose militaire, un autre auteur talentueux dont les œuvres qui ne vieillissent décidément pas méritent, elles aussi, de figurer dans les anthologies de la littérature française.
Le titre de ce « récit épique et en prose agrémenté d'ornements versifiés » s'interroge sur ce que fait un petit vélo au fond d'une cour. Le livre refermé, le lecteur demeure dubitatif... La parenté avec Vian est plus qu' évidente, lui qui nous a gratifié d'un roman intitulé « L'automne à Pékin » dont la caractéristique est de ne se dérouler ni en automne ni à Pékin !
Un livre est toujours pour Perec un exercice de style avec des contraintes qui nourrissent sa créativité. En en bon littéraire et en virtuose de l'écriture, il égrène les figures de rhétorique comme l'apophtegme, l'anaphore, l'hypotypose... et pour que son lecteur n'en ignore rien et les savoure comme il convient, il les liste lui-même à la fin de cet ouvrage avec les référence aux pages pour une illustration plus complète ! C'est aussi une autre manière de faire de la pédagogie mais si vous préférez la cuisine, vous pourrez toujours vous essayer à la recette du riz aux olives.
J'ai aimé lire et relire, pour le plaisir et surtout à haute voix, les pages de ce petit livre, à cause aussi des digressions et des parenthèses qui enrichissent le texte... On sent qu'il écrit avec délectation, jubilation et délire. Cela donne une véritable musique agréable à l'oreille. L'humour qui est présent à chaque ligne m'a en tout cas bien fait rire. Cela a été pour moi un bon moment de lecture.
Perec en profite pour violer un peu la langue, mais c'est plutôt bien puisqu'il lui fait, selon l'expression désormais consacrée, de beaux enfants ! Après tout c'est rassurant que « de temps à autres, un poète que n'effraie pas l'air raréfie des cimes, ose s'élever au-dessus du vulgaire pour, dans un souffle épique, exalter notre Aujourd'hui ». Quand ce poète se nomme Perec, le plaisir de lire et d'être ailleurs est toujours un enchantement pour le lecteur.
* Georges PEREC (1936-1982) – Membre du mouvement Oulipo - Prix Renaudot 1965 pour « les Choses »– Prix Médecis 1978 pour « La vie mode d'emploi ».
©Hervé GAUTIER – Décembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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