Le chat
- Par hervegautier
- Le 27/03/2021
- Dans Georges Simenon
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N° 1539 – Mars 2021
Le chat – Georges Simenon – Presse Pocket
Y a-t-il jamais eu de l’amour, le vrai, celui qui bouleverse les vies et parfois les ruine, entre Émile et Marguerite, ces deux veufs sans enfant, d’un âge avancé, récemment mariés ? C’est le hasard qui a favorisé leur rencontre et ils se sont unis sans vraiment se connaître, chacun avec son histoire d’avant, davantage pour assurer mutuellement leurs vieux jours et exorciser leur solitude que pour vivre une belle histoire, mais très tôt l’incompréhension, la haine se sont installées entre eux, pourrissant leurs relations, faisant d’eux un vieux couple qui remâche les souvenirs embellis de leur ancien conjoint, entretient des querelles mesquines et des rancœurs tenaces qui petit à petit se transforment en une haine recuite, des suspicions irrationnelles et une guerre sourde. Ils venaient certes de milieux sociaux différents, lui ancien ouvrier bourru sans beaucoup d’éducation et un peu alcoolique, elle, délicate et fragile, issue d’un milieu bourgeois propriétaire et cultivé, mais cette union bancale qui perdure cependant pour des raisons probablement religieuses s’est vite transformée en un abîme et un conflit permanent avec silences, hypocrisies, mensonges et méfiance réciproque, un peu comme s’ils s’étaient rencontrés pour mieux se détruire l’un l’autre, ce qui transforme leur quotidien en une lutte de tous les instants. Ils ne se parlent que par petits papiers, ce qui aggrave leur isolement, refusant d’admettre qu’ils se sont trompés sur leur mariage mais refusant cependant d’y mettre volontairement un terme et s’en remettant au hasard et à l’éventualité de la mort prochaine de l’autre, sans bien entendu la favoriser. Alors face à l’inaction de la retraite chacun tente de s'habituer et reporte son affection sur un animal, pour lui un chat qu'il accuse Marguerite d'avoir empoisonné et pour elle un perroquet jadis martyrisé par Émile et maintenant empaillé. Ces deux animaux sont le catalyseur de leur agressivité réciproque qui confine parfois à des délires obsessionnels. Entre eux on n'entend que le cliquetis du tricot, les pages du journal qu'on tourne, la pendule qui égrène ses secondes et deux vies où l’on s’ignore, qui s'écoulent parallèles et isolées, bien que vécues dans un même lieu au quotidien. Le temps qu’on use comme on peut, dans une atmosphère délétère de la destruction du quartier pour édifier de nouvelles tours.
Simenon ne peut se résumer à Maigret, même si l’exercice du métier de policier met ce dernier en situation d'observer l'espèce humaine dans ce qu'elle a de plus sombre. Ici notre auteur choisit le couple qui est probablement, quelque soit la forme qu'il prend aujourd’hui, un point de passage obligé dans la vie de chaque être humain avec ses espoirs, ses illusions, ses déconvenues. Il est rare que ce soit une réussite parfaite et cela se transforme souvent en une longue période de compromis permanents où la patience, la jalousie, l’hypocrisie et l’adultère ont leur place, même si actuellement les mariages se terminent de plus en plus tôt par des divorces. A cette époque, pour des raison religieuses, morales financières ou sociales, on avait tendance à laisser les choses en l'état, en prenant parfois quelques libertés pour tromper un ennui qui s’installait durablement et on attendait patiemment que l'autre meurt en s'inventant une autre vie pour après. C‘est aussi l’occasion de faire le bilan de son couple, de refaire le chemin à l’envers, ce qui donne parfois le vertige à cause du temps qui passe si vite et de la certitude de la mort qui guette, de prendre conscience de ce qu’on a dit ou fait jadis pour en arriver là et que maintenant on regrette. On pense ce que l’on veut du mariage, l’amour s’il existe au début dans un couple, ne tarde pas à s’éroder et à laisser place à de mélancoliques compromissions, à des vies juxtaposées où on s’épie jusqu’à la fin.
Ce roman a fait l'objet d'un film de Granier-Deferre, une adaptation fidèle à l’esprit du roman et qui met en scène deux « monstres sacrés » du cinéma français des années 1970, Simone Signoret et Jean Gabin. [Je me souviens que lorsque, enfant, j'ai entendu pour la première fois ce terme que je n'ai évidemment pas compris, mon imagination à divagué entre les mystères de la religion et la féerie des contes]. Simenon est, comme toujours, un témoin attentif de la nature humaine, ses observations pertinentes et son style simple et clair, plein de suspense ont transformé cette rencontre en un bon moment de lecture.
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