Créer un site internet
la feuille volante

PORTRAIT D'APRES BLESSURE

N°977– Octobre 2015

 

PORTRAIT D'APRES BLESSURE Hélène Gestern -Arlea.

 

Olivier est professeur d'histoire à l'université mais actuellement en disponibilité pour produire, à la télévision, des « émissions historiques ». Il forme avec sa compagne, Karine, hôtesse de l'air, un couple atypique mais qui bat de l'aile. Héloïse, plus réservée et érudite est responsable du département « Mémoire et Patrimoine » du Ministère de la Défense. Elles est mariée à Yves, un ingénieur aéronautique, souvent en déplacements et ils forment ensemble un couple tranquille et sans enfant mais au bord de l'ennui. Héloïse est devenue, presque naturellement la collaboratrice d'Olivier. Un matin, ils prennent le métro ensemble et une explosion se produit qui blesse gravement Héloïse qu'Olivier a réussi à dégager des décombres. Au moment de leur évacuation, ils sont en état d’extrême vulnérabilité ; Héloïse est à demi dénudée et quelqu’un prend une photo qui au nom du droit à l'information mais surtout pour satisfaire le voyeurisme médiatique, va être diffusée sur internet et dans la presse du monde entier. La posture donne même lieu à des commentaires et des extrapolations déplacés. Pour des raisons différentes la déstabilisation s'installe dans les deux couples à cause de cette photo alors que les autorités s'attachent davantage à l'enquête sur cet acte terroriste.

 

Au delà de l'histoire longue et qui s'inspire de la réalité, ce texte où parlent alternativement Olivier et d’Héloïse, cède progressivement la place à d'autres personnes qui s’expriment elles aussi directement, me paraît poser plusieurs questions. La première est sans contexte le « droit à l’image », cher aux juristes mais c'est une théorie, un principe juridique qui ne pèse pas grand chose, dans une société qui s'en nourrit chaque jour davantage et surtout dans une action en justice, aléatoire et perdue d'avance. Le pouvoir de cette photo, souvent volée, parfois truquée sans vergogne pour être plus émouvante et accompagnée de titres racoleurs, décuplé par internet (On sait les ravages qu'a pu faire le cyber-harcèlement, notamment chez les adolescents), transforme bien souvent le photographe plus soucieux de la réaliser sur le vif que de porter secours aux victimes, en un complice actif de ce marché où elle fera vendre du papier.(Je ne parle pas du chantage qui va avec). En prenant son cliché, en faisant son métier, il oublie délibérément les dégâts qu'ils peut occasionner dans la vie de ceux qu'il vient de photographier. C'est un véritable viol par objectif interposé. La liberté de la presse, le droit à l'information « à tout prix » auxquels nous sommes si attachés et au nom desquels, devenus des consommateurs effrénés d'images et même des voyeurs, nous abandonnons volontiers les convenances, la rationalité et la maîtrise de soi issus de notre éducation, et ce même si nous prenons la précaution de déguiser cela sous l'hypocrite compassion, se transforment en une force magnétique à laquelle nous résistons difficilement. Il y a certes, dans ces circonstances, et c'est plutôt rassurant, des actes héroïques individuels, mais quand même. Ce droit à l'information passe souvent par l'image qui tire en partie sa légitimité et son utilité de l'histoire qui, bien souvent, est contestée dans ses moments les plus tragiques. Il est vrai aussi que les photos portent témoignage, éveillent les consciences, sans elles l'information n'existerait pas. Le travail que mène Olivier à la télévision tourne lui aussi autour de l'image et il prend conscience, à travers cet événement qui le touche de près, qu'il est lui aussi complice de la force de ces clichés qu'il exploitait auparavant sans le moindre scrupule. Pris par le sérieux de sa recherche il n’accordait pas à ceux dont il publiait les photos le respect qu'il revendique maintenant pour lui-même. On comprend que ce paradoxe, né de cette prise de conscience et face à l’hypocrisie journalistique ordinaire , soit dur à vivre pour lui.

 

L'autre question est plus intime. Le couple Yves/Héloïse est présenté comme sans histoire. On imagine qu'ils se disent tout, ne se cachent rien de leur vie professionnelle, or nous savons que cette dernière est bien souvent la cause de nombreux divorces, l'honnêteté et la confiance étant deux des principaux ciments du mariage. Ici, cette photo et les commentaires qu'elle inspire donne forcément à penser, même s'il n'en était rien, qu'Olivier et Héloïse avaient alors une liaison et qu'une amitié entre un homme et une femme ne peut pas ne pas se terminer par une passade. Dans ce contexte, il ne faut surtout pas rechercher compréhension ou réconfort auprès de la famille; c'est souvent de là que viennent les pires coups auxquels d’ailleurs on ne s'attend pas et les unions, même les plus solides résistent rarement à ce genre d'épreuves.

Le style est simple,sans fioriture, efficace et l'épilogue conclut à sa manière cette réflexion sur l'image.

 

Hervé GAUTIER – Octobre 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • 1 vote. Moyenne 1 sur 5.

Ajouter un commentaire