1939 - 1945 - Delphin DEBENEST - Un magistrat en guerre contre le nazisme. Dominique Tantin Geste Editions.
- Par hervegautier
- Le 30/03/2009
- Dans Histoire
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N°323– Février 2009 1939 – 1945 - Delphin DEBENEST – Un magistrat en guerre contre le nazisme. Dominique Tantin – Geste Editions.
Lorsqu'il m'arrivait d'aller « Aux Iles », cette splendide demeure qui donne sur la Sèvre et qui fut naguère la maison d'un poète, j'y entendais évoquer Ernest Perrochon par la bouche de sa fille. Elle entretenait vivant le souvenir de ce père, écrivain et Prix Goncourt 1920, qui avait, entre autre, refusé de cautionner le régime de Vichy et avait fini par succomber aux harcèlements de l'occupant. J'y rencontrais aussi son gendre, Delphin Debenest, qui s'occupait plus volontiers de son jardin. Il était cet homme tranquille qui ne parlait jamais de lui, souhaitait rester simple et donner l'image d'un retraité. Comme tout le monde, je savais qu'il avait été magistrat, que sa carrière, commencée à Niort comme substitut, avait été interrompue par la guerre, pour se terminer comme Président de chambre à la cour d'appel de Paris. C'était à peu près tout, et pour tous, il était un citoyen comme les autres... Il était pourtant bien plus que cela et sa frêle silhouette cachait un parcours hors du commun.
Mobilisé en 1939 comme homme du rang, il tiendra un journal de cette « drôle de guerre », décrivant la débâcle de l'armée, dénonçant l'attitude désastreuse du commandement, la défection des officiers... Il y a beaucoup de lucidité dans ses propos. Après sa démobilisation, en 1941, il retrouve ses fonctions de substitut dans une France vaincue et occupée et s'engage dans la Résistance. Il sera un agent de renseignements de la résistance franco-belge, communiquant des informations d'ordre administratives aux réseaux de la Vienne et des Deux-Sèvres, profitant de ses fonctions de magistrat en place pour combattre un régime qu'il désapprouvait mais dont il était pourtant le représentant, permettant à de nombreux Français, traqués par la police française et par la Gestapo, de leur échapper, disqualifiant des délits pour permettre aux prévenus d'échapper à la justice et de fuir ... C'est qu'un dilemme important se posait à lui. Il se mettait ainsi hors la loi, lui qui était censé l'incarner, alors qu'humaniste convaincu, il était animé d'une « certaine idée des droits de l'homme » et que, chrétien fervent, il puisait dans l'Évangile les raisons de son engagement et de son action. Il sut faire un choix qui n'était pas sans grandeur, entre l'accomplissement de son travail, et donc courir le risque de se faire à lui-même des reproches, pratiquer la désobéissance civique et ainsi mettre sa vie et celle de sa famille en danger. Resté en poste, il rendit à la Résistance plus de services que s'il avait choisi la clandestinité ou le maquis. Ils furent en effet peu nombreux, les membres de la magistrature qui, à cette époque, acceptèrent cette « dissidence ». Arrêté en juillet 1944, il est déporté à Buchenvald puis au commando d'Holzen d'où il s'échappe, profitant de la débandade des nazis. Choisi pour faire partie de la délégation au procès de Nuremberg en qualité de procureur adjoint, il aura le privilège « d'être le juge de ses bourreaux ».
Pendant toute cette période il prend des notes « au jour le jour » qui montrent le quotidien dans ce camp de concentration où tout devient banal, la faim, la souffrance, la mort! Plus tard, lors du procès, il sera plus précis dans la relation qu'il en fait, plus critique aussi au regard des arguments développés par la défense, sans cependant se départir de son humanité et soucieux de ne pas obtenir vengeance à tout prix mais qu'une justice équitable soit rendue.
De retour en France, il devint un militant de la mémoire pour que tout cela ne se reproduise plus.
Il s'agit d'un témoignage écrit, non destiné à la publication, uniquement appelé à garder pour lui seul, le souvenir personnel de toute cette période dont « il veut (en) conserver seul le souvenir et aussi les traces ineffaçables » et « ne pas attirer l'attention sur lui ». Le lecteur y rencontre un narrateur qui veut, dans le camp, garder sa dignité et conserver intacte sa foi en la vie et en l'espoir de rentrer chez lui. On songe bien sûr à Jorge Semprun. Il continuera, pendant toute cette période, de transcrire pour lui-même, ses impressions et ses remarques, sous forme d'un simple témoignage. En fait, c'est beaucoup plus que cela, même s'il ne se fait aucune illusion sur l'intérêt que pourront montrer ses contemporains, et encore moins de la compassion qu'ils pourront éprouver.
Sur son action de Résistant, il reste discret et se qualifie lui-même de « modeste agent de renseignements d'un réseau » dont « l'action n'eut rien de spectaculaire ».
Ces écrits n'ont été exhumés après sa mort survenue en 1997, que grâce à la complicité de sa famille et publiés en marge d'un travail universitaire de Dominique Tantin dans le cadre de la soutenance d'une thèse de doctorat. Ce travail reste pédagogique puisque les écrits de Delphin Debenest ont été scrupuleusement retranscrits, annotés de commentaires et enrichis de citation d'historiens. Son histoire individuelle rejoint donc l'Histoire.
Pourtant, la mémoire collective n'a pas conservé le souvenir de cet « authentique résistant » qui regardait cette période de sa vie comme « malheureuse aventure » qu'il souhaitait oublier. Il avait seulement fait son devoir, c'est à dire agi conformément à sa conscience et son destin fut exceptionnel. De ce parcours, nulle trace officielle, simplement des décorations prestigieuses simplement rangées de son vivant et qui attestaient cet engagement. Il eut même la désagréable occasion de constater que sa carrière eut à pâtir de son action patriotique et que d'autres collègues, moins soucieux que lui de leur devoir et plus attentifs à leurs intérêts personnels, ont su tirer partie des événements à leur profit. C'est là un autre débat sur l'opportunisme et l'ingratitude.
Il faut remercier Dominique Tantin d'avoir ainsi mis en lumière la mémoire de cet homme d'exception que sa modestie rendait plus grand encore.
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