Ils étaient 4 sergents de La Rochelle
- Par hervegautier
- Le 23/12/2011
- Dans Histoire
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N°545 – Novembre 2011.
Ils étaient 4 sergents de La Rochelle – Bernard Morasin – Éditions Bordessoules.
A La Rochelle, face à la mer, se dresse une tour gothique élégante qui servit de phare et qui, pour cette raison, porte encore le nom de « Tour de la Lanterne ». Ce n'est d'ailleurs pas son seul nom mais, parmi ceux-ci, elle est aussi connue comme « Tour des quatre sergents » puisque la Restauration emprisonna ici quatre sous-officiers séditieux qui furent guillotinés à Paris en 1822.
Ils étaient affectés au « 45° de Ligne », qui, basé à Paris depuis 1821 venait de prendre ses quartiers à La Rochelle. Crée sous Anne d'Autriche, ce régiment d'infanterie traversa la Révolution et l'Empire puis se trouva, à la Restauration, commandé par un de ces officiers émigrés, le colonel-marquis Louis-Victor-Alexandre Toustain de Fontebosc, sans grande autorité sur ses hommes, un peu naïf et même vindicatif.
A 26 ans, le sergent-major Jean-François Bories, Franc- Maçon, s'ennuyait ferme au 45° de ligne. Déçu par l'armée qui, selon lui ne reconnaissait pas ses mérites et le maintenait dans la subalternité, il avait fait le choix de la « Charbonnerie ». D'origine italienne, cette société secrète, dont le but était « la liberté conquise à main armée », convenait à son ambition. Elle s'était implantée fortement en France et était active dans l'armée. La Restauration avait décimé les rangs de l'armée impériale, multipliant les militaires en demi-solde ou carrément privés de leur grade et sans emploi. Le climat à l'époque était volontiers comploteur et nombre de militaires étaient des nostalgiques du Premier Empire et de la Révolution et conspiraient volontiers en faveur de la disparition des Bourbons. Bories avait efficacement œuvré, dans son régiment, en faveur de la Charbonnerie à la quelle « Les Chevaliers de Liberté », société secrète composée surtout de civils, mais très active dans l'ouest de la France, était affiliée. Il recruta donc divers sous-officiers et soldats qui prêtèrent serment à la « Charbonnerie » parmi lesquels le sergent Jean-Joseph Pommier, le sergent-major Charles-Paul Goubin et le sergent Marius Raoulx. Ils adhérèrent à ce mouvement pour des raisons personnelles, tenant à leur avancement ou à la future fortune qu'ils imaginaient à la suite de la chute des Bourbons. Bories fut naturellement leur chef.
Ce fut lors du mouvement que fit ce régiment de Paris à La Rochelle, à pied, dans le froid et la neige, que se déroula cette aventure épique, pleine de rebondissements et qui se révéla être un complot contre le régime monarchique. A force de malchance, de délations, de défections et surtout d'acharnement lors du procès, de nombreux prévenus se retrouvèrent condamnés mais les quatre sous-officiers terminèrent leur brève vie sous le couperet de la guillotine, en place de Grève.
Telle fut l'histoire personnelle de ces quatre jeunes fantassins dans une époque troublée où il fallait faire un exemple. La présence de civils dans la conjuration justifiait qu'on chargeât la Cour d'Assises de cette affaire qui fut jugée à Paris. Leur transfert fut long et pénible. S'il y avait effectivement eu complot, il n'y avait cependant pas eu commencement d'exécution, mais l'avocat général tira partie de toutes les ressources du Code Pénal de l'époque pour demander et obtenir la tête des quatre militaires. Si leur arrestation s'était passée dans le calme et l'indifférence à La Rochelle, leur procès se déroula dans une ambiance électrique et passionnée qui donna lieu à un réquisitoire enflammé et des plaidoiries bouleversantes. Parmi les trente six accusés, certains ne furent pas poursuivis, d'autres furent acquittés et d'autres encore condamnés à des peines de prison.
Cet épisode qui maintenant est définitivement inscrit dans l'histoire et même dans la légende, fut empreint de beaucoup d'illusions, d'approximations, d'inconséquences voire d'incompétences. Il témoigna d'affabulations, d'atermoiements, de trahisons, de délations et de fidélité à un idéal et à un serment. Ce qui aurait pu être la réalisation d'une aspiration humaine légitime pour la liberté s'est transformé en une aventure où les principaux protagonistes responsables et instigateurs du complot n'ont même pas été inquiétés. Le procès de lampiste qui s'en est suivi s'est terminé pour ces malheureux militaires un peu trop idéalistes par une mort infamante sur l'échafaud, sacrifiés sur l'autel de l'ordre public et de la sauvegarde d'un trône et d'un régime qui finiront par être balayés. La réhabilitation qui suivit grâce à la révolution de 1830 leur fit certes recouvrer une dignité posthume mais l'espèce humaine est oublieuse et leur épopée est maintenant réduite à un vague souvenir.
Mes origines rochelaises autant que l'intérêt que je porte personnellement à cette ville et à son histoire m'ont incité à lire ce livre passionnant et même parfois émouvant, fort bien écrit et abondamment documenté. Il plonge le lecteur dans l'ambiance délétère de cette époque à laquelle mettra fin la révolution des « Trois glorieuses », en juillet 1830. C'est un acte de mémoire important et un bel hommage à ces artisans de la liberté qui ont attaché leurs noms à cette cité d'exception.
©Hervé GAUTIER – Novembre 2011.http://hervegautier.e-monsite.com
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