Nos coeurs vaillants
- Par hervegautier
- Le 23/04/2016
- Dans Jean-Baptiste Harang
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La Feuille Volante n°1035– Avril 2016
NOS CŒURS VAILLANTS– Jean-Baptiste Harang - Grasset.
On ne répond pas à une lettre anonyme, justement parce qu'elle l'est, anonyme, et que de toute façon, cela ne serait pas possible. Si on en croit l'auteur, c'est ce qu'il reçoit un beau jour et cette missive convoque les fantômes de son enfance faite de patronage, de colonies de vacances, de service de messes et d'abbé pédophile, encore que, à cette époque ce délit perpétré par des autorités religieuses était couvert par le silence voire par le tabou quand, à l'extérieur, il était sanctionné par les tribunaux.
Dans cette période de l'enfance et de l'adolescence on fait ses apprentissages, pas toujours très heureux et on y tisse parfois des amitiés solides qui défient le temps. Mais quand même, arrivé à l'âge adulte, des ombres se bousculent dans la mémoire et pour peu qu'on sache un peu manier la plume, on écrit « pour se souvenir » parce que l'oubli fait aussi partie des intervenants. Et c'est parti ! L’auteur va ainsi collationner des noms (les vrais ai-je cru comprendre bien que je croyais que dans les romans on habillait ses personnages de faux patronymes) comme on égrène un chapelet. C'est vrai que la jeunesse est un état passager, tout comme le reste de la vie d'ailleurs, et l'un comme l'autre nous apportent leur cortèges de souvenirs. Dans ce roman, (je n'en connais pas d'autres de cet auteur), ils sont plutôt pieux ou à tout le moins tournent autour de la religion catholique qui était bien souvent, pour les gens de ma génération, le point de passage obligé des enfants de parents bien-pensants. Pour l'auteur, sa mémoire vagabonde entre le 17° arrondissement parisien et des étés dans une colonie du Jura qui, en principe, était le cadre d'une plus grande liberté. Voire ! La présence d'un abbé compliquait sans doute un peu les choses avec l'obligation de satisfaire aux rituels religieux dans un latin approximatif et de vivre à la dure en respectant une discipline quasi-militaire, prémices d'une vie d'adulte accomplie (là non plus je ne suis pas sûr). C'est sans doute pour se venger de tout cela qu'il pratiqua le pillage des hosties (non consacrées, cela va sans dire) et bien entendu la dégustation occulte du vin de messe. Pas de quoi se sustenter mais seulement l'occasion de braver un interdit et, si on y croit, de caractériser le péché de gourmandise qui, comme nous le savons est capital et promet son auteur aux flammes de l'enfer. Cela fit même de lui un candidat malheureux au petit séminaire d'où il fut renvoyé et un authentique objecteur de conscience à l'époque où, satisfaire à ses obligations militaires était encore considéré comme le passage forcé vers l'âge d'homme.
Mais revenons à cette lettre anonyme qui, au fil du temps et des envois se révéla être signée et domiciliée, révélant la véritable identité de son auteur et peut-être sa volonté de renouer des liens distendus par le temps. Je ne sais si l'auteur est comme moi, mais je fuis comme la peste les associations d'anciens élèves et les copains de service militaire, cela met pour moi un peu trop l'accent sur le temps qui passe, sur la sacro-sainte réussite sociale qui n'est pas toujours au rendez-vous, sur la nostalgie que je ne goûte guère et sur les souvenirs qu'il ne me plaît pas spécialement d'évoquer. Il y a des moments où j'aime bien faire prévaloir l'oubli.
Cet ouvrage est présenté comme un roman mais j'y ai plutôt vu un recueil de souvenirs pas du tout fictifs. Mais après-tout peu importe, j'ai goûté son style, son humour subtil, la manière toute personnelle et jubilatoire qu'il a de faire revivre cette période qui pour lui, « le passé qui enjolive tout » aidant, fut agréable. Il le fait sous l'injonction d'un cousin psychiatre (c'est étonnant que les membres de cette corporation vous invitent ainsi à vous souvenir de vous, même si vous ne le souhaitez pas). L'auteur en a fait un « roman » et c'est tant mieux pour le lecteur car moi, je ne me suis pas ennuyé à cette lecture.
© Hervé GAUTIER – Avril 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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