L'affaire des corps sans tête
- Par hervegautier
- Le 17/01/2016
- Dans Jean-Christophe Portes
- 0 commentaire
La Feuille Volante n°1004 – Janvier 2016
L'affaire des corps sans tête - Jean-Christophe Portes - City Éditions.
Nous sommes en 1791, une période ou le roi et les révolutionnaires cohabitent encore tant bien que mal, où La Fayette, revenu tout auréolé des Amériques, tente de ménager son avenir entre une royauté qui vacille et un nouveau régime encore assez incertain, occupé à rédiger une nouvelle constitution, organisant une sorte de transition. Dans ce contexte, on retrouve dans la Seine le corps d'un homme nu décapité, sans doute pour qu'on ne le reconnaisse pas et ce cadavre est suivi par d'autres également sans tête. La Révolution n'est peut-être pas encore entrée dans cette période trouble où elle a envoyé à l’échafaud tant de ses citoyens, mais quand même, l'affaire est d'importance ! Dans le même temps Marat qui attise la révolte et appelle au meurtre des aristocrates, semble protégé par la population parisienne et La Fayette charge un de ses proches, le Chevalier d'Hauteville devenu Victor Dauterive, jeune sous-lieutenant de dix-neuf ans de la récente gendarmerie nationale, désireux d'échapper à la tutelle familiale, de l'arrêter. La période baigne dans une atmosphère de complots où ordres et contre-ordres se succèdent de sorte que, après moult péripéties, l'affaire de l'arrestation de Marat est un échec et notre sous-lieutenant est démis de ses fonctions. Pour autant, ses investigations maintenant personnelles, émaillées d'ailleurs de nombreux meurtres et rebondissements, le ramènent vers cette histoire de cadavres sans tête.
J'ai apprécié cette balade au sein de ce Paris de la fin du XVIII° siècle qui m'a toujours enchanté. L'auteur promène son lecteur alternativement dans les quartiers populaires aux rues sales et étroites, dans les bouges et les cabarets autant que dans les théâtres et dans les salons et lui fait découvrir des petits métiers aujourd'hui disparus tels que ravaudeuse, marieuse, chirurgien-barbier... Les événements troubles de cette période ajoutent au suspense et à l'intérêt de ce livre bien documenté et au style agréable qui s’attache son lecteur dès les premières pages, le tient en haleine et ne l'abandonne qu'à la fin, sans que l'ennui ait pu s'insinuer dans sa lecture. J'ai également apprécié les rencontres entre des personnages historiques et fictifs dans le cadre de ce roman, les figures d'Olympe de Gouges, bien à la hauteur de sa réputation, de Talma, de Fragonard... ne m'ont pas laissé indifférent. Même si cette technique a été largement usitée par d'autres écrivains dont cette chronique s'est souvent fait l'écho, je salue une nouvelle fois cette heureuse initiative. Je note également l'aspect culinaire du texte qui donne une dimension, certes accessoire mais plus personnelle, aux événements évoqués.
Ce texte met aussi en évidence, mais ce n'est pas une nouveauté, les travers de l'espèce humaine. Il y avait certes les grandes et généreuses idées de la Révolution qui mûrissaient depuis longtemps, la volonté de changer la société, d'émanciper les gens du peuple, de leur donner cette liberté qu'ils attendaient, mais tout cela n’exclut guère la bassesse des hommes, leur duplicité, les manipulations, les délations, les trahisons, la corruption, la perfidie, l’appât du gain qui sont inhérents à la condition humaine et qui ont largement nourri les désillusions qui ont suivi… La pauvreté et l'injustice ont persisté et chacun, même parmi les révolutionnaires a cherché à préserver son pouvoir et son influence, ce qui donne une situation délétère fort bien rendue.
Ce roman est baigné par une véritable intrigue policière avec parfois de fausses pistes et aussi la cohabitation de deux histoires apparemment étrangères l'une à l'autre, d'une part cette arrestation de Marat et d'autre part ces découvertes déconcertantes de corps sans tête. On passe de l'une à l'autre sans pratiquement de transition et il faut attendre la fin, sur fond de fuite du roi à Varennes, pour s'apercevoir qu'elles ont un lien entre elles. C'est aussi une réflexion sur la raison d’État, les grands principes si hautement déclarés, les décisions d'opportunité et sur le pouvoir politique et que ce roman illustre. Elle est permanente et ne saurait se limiter à cette période [« C'est donc cela le pouvoir, une succession de mensonges et de trahisons, loin des regards du peuple, bien loin du services des idées »]. Les délinquants d'hier retrouvent leurs fonctions officielles et leur pouvoir alors qu'ils ont menacé les fondements mêmes de l’État et l'hypocrisie générale recouvre de son manteau bienveillant tous leurs crimes et charge l'amnésie voire l'amnistie de les reléguer aux oubliettes de l'histoire.
Ce roman historique, qui est aussi le premier de cet auteur m'a procuré un bon moment le lecture et je suivrai volontiers ses publications futures.
© Hervé GAUTIER – Janvier 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
Ajouter un commentaire