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la feuille volante

Comme un karatéka belge qui fait du cinéma

N°959– Août 2015

 

Comme un karatéka belge qui fait du cinémaJean-Claude Lalumière – Le dilettante.

 

Il y a en nous tous un Lucien de Rubempré qui sommeille surtout en matière d'illusions perdues. Luc, le narrateur n'y fait point exception qui a quitté son Médoc natal et son milieu modeste d'ouvrier agricole pour « monter à Paris » comme on dit dans nos provinces. Il a tout quitté, son enfance, ses souvenirs pour s'inventer une vie dans la Capitale mais ses rêves de cinéma se sont rapidement transformés en petits boulots et il est devenu factotum dans une galerie d'art parisienne, pas vraiment ce qu'il espérait. Ce parcours un peu cahoteux, malgré un beau mariage, lui a au moins donné l'occasion de réfléchir sur sa condition et cela donne une somme d'aphorismes pertinents sur la culture et sur l'art ou plus exactement sur l'idée que s'en font les collectionneurs, le plus souvent parisiens et surtout l'usage (financiers) qu'ils entendent en faire. Il y a une sorte d'empathie pour les artistes méconnus qu'il comprend mais n'oublie pas au passage d'égratigner tous ceux pour qui la culture n'est et ne sera toujours qu'un misérable vernis. Tout y passe, depuis les vernissages où se pressent des pique-assiettes jusqu'aux critiques professionnels peu inspirés et bien souvent peu cultivés en passant par les fluctuations du marché de l'art. Il n'oublie pas les artistes qui bien entendu se prennent pour des génies et les quidams prêts à n'importe quelle excentricité pour s'en faire remarquer. Bien entendu la presse spécialisée, bien plus intéressée par l'audimat ou la nécessité de vendre que par l'information diffusée en prend pour son grade sans oublier les « cultureux » qui prétendent tout comprendre, surtout quand il n'y a rien à comprendre. Il se laisse aller à critiquer les choses de cette vie, sur les idées reçues et sur l'humanité qui n'est pas fréquentable, ce que nous savons d'autant plus que nous en faisons tous partie, le racisme ordinaire et les repas de famille arrosés qui se terminent toujours par des chansons paillardes ou des disputes stériles. Il apprécie la roulette russe de la génétique qui fait parfois que deux membres d'une même fratrie sont de véritables étrangers l'un pour l'autre, différence qu'on mesure surtout quand on a choisi de se tenir en retrait du milieu familial et de mettre entre lui et soi le plus grand nombre possible de kilomètres. Ainsi ne ressemble-t-il pas à son frère et s'en félicite ! Il ne fera pas de cinéma comme il en avait rêvé mais se fera quand même « son » cinéma, fictivement bien sûr comme le film qu'il aurait pu tourner et où il aurait été le seul acteur, jouant le scénario de sa propre vie...Solipsisme d'auteur ou envie de refaire le monde ! Jusqu'à la réception d'une lettre de ce frère qui va remettre les choses à leur vraie place, faire ressurgir son passé, ses blessures, ses fêlures… On peut se poser la question : Pourquoi refaire le monde, le redessiner pour soi seul et à ses mesures ? C'est peut-être l'apanage de l'écrivain dont l’imagination est souvent débordante, l'exercice du simple plaisir d'écrire, de raconter une histoire qu'il invente ou dont il rend compte, de laisser aller son stylo sur la feuille blanche, de faire chanter les mots, de satisfaire son ego... Grâce à l'écriture il donne ses couleurs favorites à un monde décevant pour lui, se recrée pour lui-même un univers parallèle où il guide son lecteur ? A nous, de choisir !

 

Le titre m'a d'emblée paru suspect. Que va-t-il encore nous pondre sur ce thème, me suis-je dit. Et moi de craindre l'humour facile qui prend toujours les Belges pour cible. On s'empresse de les qualifier de « nos amis » pour aussitôt s'en moquer. Ce qui me rassure c'est que, paraît-il, ils font de même pour nous ! En réalité c'est Jean Claude Van Damme qu'il a rencontré au bar d'un grand hôtel parisien qui se qualifie ainsi, donnant son titre au roman. J'ai quand même préféré la scène du clochard qui se termine à la manière du Petit Prince et de son étoile, à la philosophie quelque peu éculée de cet acteur bodybuildé. Pour autant, ce titre ne doit pas nous cacher la réalité, l'auteur parle surtout de lui mais il le fait avec humilité. Les apparences sont en effet trompeuses et le milieu culturel parisien dans lequel il travaille peuvent donner l'illusion qu'il est quelqu'un d'important alors qu'il avoue qu'il n'en est rien et qu'il accepte de rester à sa place. Il avait pourtant tiré un trait sur sa famille, sur ses origines modestes. Il est en effet tentant de se dire qu'on est un être exceptionnel et de finir par y croire soi-même ! Finalement faire le point sur soi, comme il le fait, même si le constat n'est pas reluisant, est plutôt salutaire.

 

J'ai retrouvé avec plaisir l'auteur de « La campagne de France » et du « Front russe » dont cette chronique s'était fait l'écho. Même si le thème traité ici est différent, son humour, son sens de la formule, sa plume pétillante m'ont à nouveau enchanté mais j'ai choisi quand même d'y voir, au-delà des traits d'esprit, une critique un peu acerbe voire désabusée, nostalgique même, mais assurément bien menée.

Hervé GAUTIER – Août 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com

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