la feuille volante

La Rochelle Années 1950

N° 1501- Septembre 2020.

 

La Rochelle, années 1950 – Photographies de Jean Gaillard présentées par Jean-Louis Mahé- Geste éditions.

 

Qu’est ce qui m’a fait acheter ce livre trouvé par hasard sur les rayonnages d’un libraire ? D’ordinaire la couverture de ceux qui sont consacrés à cette ville emblématique représente l’entrée du port, mais pas ici. Les photos qu’on y trouve sont celles des années 50 et j’ai sans doute espéré y croiser le regard de mes parents puisque c’est là que je suis né à peu près à cette époque…

La Rochelle est maintenant une cité connue de tous où il se passe toujours quelque chose mais, dans les années 50 ce n’était alors qu’une petite ville perdue sur le cadastre nationale, qui se relevait doucement de la guerre et de l’occupation allemande et pleurait son maire, Léonce Vieljeux, assassiné dans un camp nazi. J‘ai souvenir d’une ville un peu grise malgré les frondaisons du parc Charruyer et qui lentement changeait, avec de petits détails incrustés dans ma mémoire, la rue du Palais avec ses arcades que les Rochelais arpentaient, mais du seul côté allant de la Grosse Horloge à la place de Verdun. C’était un lieu de rendez-vous et si on voulait être vu ou rencontrer quelqu’un, c’était ici qu’il fallait être. L’été, l’unique plage de « la concurrence » accueillait la foule des baigneurs. Parfois pourtant on y tournait un film et on pouvait croiser Jean Gabin , Jean Claude Pascal ou Danièle Darrieux… Dans ma mémoire la place de Verdun c’était le parking des taxis, le kiosque à musique, l’agent de police qui face à la cathédrale réglait la circulation avec des gestes de sémaphore, la caserne Aufredi et ses militaires américains, le quai Duperré où des « photo-filmeurs » vous volaient votre image et vous la vendaient le lendemain pour quelques sous. Au « bassin des chalutiers » il y avait les bateaux de pêche qui partaient en haute mer pour des marées de quinze jours puis déchargeaient leurs cales à l’encan ; le poisson était trié puis expédié dans la France entière. Les sardiniers qui chaque soir accostaient près de la Tour de la chaîne vendaient leur poissons bleus aux marchandes de « sans sel » qui elles-mêmes les revendaient à grands cris dans les quartiers populaires ou sur le marché, les femmes en coiffes bigoudènes qui, sur le Cours des Dames, proposaient en silence leurs travaux d’aiguille, les voitures américaines qui semblaient glisser sur les pavés, les larges clous des passages pour piétons, les bus verts bringuebalants, les belles maisons du Mail, les baraquements insalubres de La ville-en-bois, Port-Neuf qui accueillait des HLM, les quartiers populaires, pauvres et sales comme Tasdon où habitaient mes grands-parents. Pour moi qui n’était qu’un gosse, la ville s’arrêtait là et le pont qui enjambait les voies ferrées près la gare était une véritable frontière que je passais toujours à pied. Mon plaisir était grand de le traverser quand une machine à vapeur l’inondait de son haleine d’ouate blanche. C’était la fête annuelle de la mer où, au large, on confiait aux flots des gerbes de fleurs en mémoire des marins péris en mer, la cavalcade avec ses chars de carton-pâte, ses batailles de confettis et ses fanfares de quartier, le port actif de La Pallice, ses usines, ses dockers, ses chantiers navals, ses bateaux venus des bancs de Terre-Neuve et du monde entier. D’ici on embarquait pour l’île de Ré qui n’était pas encore célèbre pour une brève traversée par le bac (il ne fallait pas manquer le dernier faute de passer la nuit sur l’île au retour) avec, au large, l’épave du « Champlain ».

Le port était aussi la destination de la course Plymouth-La Rochelle et les voiliers accostaient au « bassins des yachts », le port des Minimes n’existant pas encore. Je me souviens que plus tard, adolescent, il m’arrivait de me lever la nuit pour écouter longtemps, sur le Cours des Dames, la musique du vent dans l’accastillage métallique des bateaux de plaisance.

Tous les adultes qui figurent sur ces photos sont morts depuis longtemps et je n’ai reconnu personne, mes parents non plus n’ont pas croisé ce photographe qui n’a donc pas imprimé leur visage sur sa pellicule. Aujourd’hui, quand j’arpente les rues de cette ville maintenant presque méconnaissables par rapport à ces clichés, il y a toujours un peu de nostalgie, mais c’est toujours ma ville et je m’y sens chez moi, même si les choses ont changé et que je mesure ainsi le poids du temps et son inexorable cours. 

 
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