la feuille volante

LA OU LES TIGRES SONT CHEZ EUX - jean-Marie BLAS DE ROBLES - ZULMA Éditeur. Prix Médicis 2008.

 

N°329– Mars 2009

LA OU LES TIGRES SONT CHEZ EUX – jean-Marie BLAS DE ROBLES – ZULMA Éditeur. Prix Médicis 2008;

 

Quand j'ai vu le livre pour la première fois, j'ai hésité. Je n'aime pas beaucoup les « pavés » et je n'ai pas de bons souvenirs des « Frères Karamazov » et de « Guerre et paix ».

 

C'est en fait une drôle d'histoire [dont l'écriture a demandé à l'auteur pas moins de 10 ans de travail], ou plus exactement de drôles d'histoires qui s'entrecroisent, sans apparemment de lien direct les unes avec les autres. Eléazard Von Wogan, correspondant de presse un peu esseulé et inquiet, domicilié à Alcantara dans le Nordeste brésilien qui transmets à son journal des dépêches qui n'intéressent personne. Il est séparé de son épouse Elaine et tente de se placer auprès d'une journaliste italienne, Loredana. On lui transmet un jour, en vue de sa publication, un manuscrit inédit qui retrace la vie authentique d'un célèbre jésuite du XVII°siècle, Athanase Kircher, surnomme « le maître des cent arts » grand voyageur, érudit, extravaguant, curieux, excentrique et génial inventeur comme le sont souvent les membres de cette Compagnie. Il passera pourtant à côté de la science de son temps et même se rendra coupable d'erreurs multiples. La supériorité intellectuelle du jésuite va l'opposer à l'Inquisition et le confronter à la condamnation prononcé par l'Église contre Galilée et ses théories, le mettant lui-même en situation d'hérésie. Cette biographie va servir de fil d'Ariane à ce roman et fascinera le narrateur au point de voir sa vie en être modifiée.

 

Eléazard, en plus d'être le témoin privilégié de la vie de cet ecclésiastique, va croiser une multitude de personnages comme on en voit souvent dans les contrées les plus reculées du globe en se demandant comment une région aussi désertique peut attirer tant de monde. Elaine, son ex-épouse, archéologue en mission au Mato Grosso, Moema, lesbienne et droguée, fille de la précédente, vaguement étudiante qui cherche sa voie mais qui aime surtout la marginalité et ses illusions, Nelson, jeune infirme des favelas qui remâche sa révolte contre son sort, la société ou on ne sait quoi? Dietlev, Milton et Mauro, universitaires et étudiant, à la recherche d'improbables fossiles, Herman Petersen, aventurier bolivien qui se veut un authentique Allemand, un peu nostalgique du nazisme et de sa violence aveugle. Moreira da Rocha, gouverneur sans scrupule et corrompu et magouilleur vers qui ne vont pas les sympathie de l'auteur, on le sent bien. Autant de personnages qui nous sont ici révélés, avec chacun leur leurs qualités, leurs fantasmes, leurs travers. Chacun se meut dans sa jungle personnelle qui ne manquera pas de le phagocyter

 

Dans ce roman fleuve, l'érotisme se mêle au réalisme cru et parfois horrible. C'est aussi un roman baroque, non seulement parce que l'un des personnages, Athanase Kircher, s'inscrit au XVII° siècle, mais aussi parce que l'action contemporaine se passe au Brésil, ce pays baroque, non seulement par la jungle mais également par les favelas. Dans ce récit dans lequel le lecteur peut se sentir un peu perdu, se mêlent fiction et réalité mais finalement il s'y retrouvera à la fin, pour peu qu'il suive jusqu'au bout la démarche de l'auteur.

 

Le style est agréable, fascinant, poétique même par moment, érudit assurément, avec une grande richesse de vocabulaire. Il sous-tend un récit passionnant et exotique, à la narration éblouissante, dans ce Brésil, de toutes les démesures qui s'attache le lecteur jusqu'à la fin... Une grande œuvre, picaresque, comme je les apprécie aussi parfois. Je pense, en effet, que lorsque les auteurs choisissent ainsi de s'exprimer dans notre belle langue française, ils la servent et le lecteur ne peut que l'apprécier.

 

J'y vois un parcours initiatique et de retour aux sources, une quête impossible autant que la recherche d'une improbable vérité qui se révèle malheureusement être une tromperie de plus.

 

 

© Hervé GAUTIER – Mars 2009.http://hervegautier.e-monsite.com 

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