La quarantaine
- Par hervegautier
- Le 14/07/2020
- Dans Jean Marie Gustave LE CLEZIO
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N° 1483 - Juillet 2020.
La quarantaine – J.M.G. Le Clézio - Éditions Gallimard.
L’île Plate est un îlot volcanique peuplé de coolies indiens, au large de l’île Maurice où Alexis, le grand-père maternel de Le Clézio dut faire une escale forcée, une quarantaine, à cause d’un cas de variole déclaré sur le navire qui le ramenait vers cette terre où ses ancêtres bretons, fuyant la misère, s’étaient installés au XVIII° siècle. L’auteur s’inspire de cet épisode familial bien réel pour créer ce roman où il met en scène, en 1891, Jacques Archambau qui est médecin, sa femme Suzanne et Léon, frère cadet de Jacques. Ils viennent reprendre possession sur l’île Maurice d’une maison, celle d’Anna, dont leurs parents ont été chassés vingt ans auparavant par Alexandre, l’oncle des deux frères. Un cas de variole détecté à bord du navire sur lequel ils voyageaient en compagnie d’autres passagers provoque un « confinement » sur Plate. Bien entendu ce débarquement d’étrangers, des européens mais aussi des immigrants indiens, bouscule la vie sur l’île peuplée par des coolies abandonnés ici il y a des années et des émeutes éclatent donnant aux voyageurs l’impression d’être abandonnés à leur sort par les autorités à la fièvre, à la famine, à l’insécurité. Il y a bien des tentatives d’évasion mais elles se soldent toutes par un échec, transformant de plus en plus cette île en prison. L’état de santé de certains passagers européens s’aggrave alors qu’ils attendent désespérément un bateau venant de Maurice qui mettra un terme à leur quarantaine.
Le Clézio met en scène deux Léon, l’un le frère de Jacques et l’autre son petit-fils pour évoquer, à près de cent années de différence, cette tranche de vie de la saga familiale exotique. On y rencontre la figure souffrante de Rimbaud, croisée à Aden en partance pour la France mais surtout il décrit avec plaisir les paysages de cette île et du petit îlot « Gabriel » qui rapidement sert d’annexe pour les malades comme Plate pour Maurice, la faune et surtout la flore. Pour eux et pour les nombreux autres passagers contraints à cette quarantaine qui menace de durer longtemps, la vie s’organise, faite surtout d’explorations et d’observations des pauvres gens qui ont été abandonnés sur cette île il y a bien longtemps, d’organisation du quotidien et de gestion de la maladie, de la mort aussi ... Léon tient une sorte de journal où il consigne leur quotidien fait de crainte de la maladie, du danger, de reconnaissances de cette petite île et surtout de la vision qu’il a d’une jeune fille qu’il baptise aussitôt « Suryavati » (force du soleil) et évidemment en tombe amoureux. A travers les différents personnages dont il dresse le portrait, il évoque le passé avec de nombreux analepses mais aussi le présent et ses origines familiales, cette maison dont il parle comme d’un paradis perdu. Ce roman est le reflet de l’œuvre de Le Clézio, évoque le voyage, l’intérêt qu’il porte à l’île Maurice et aux cultures oubliées. Il décrit avec passion la nature de cette île tropicale qui est aussi, sous sa plume, un véritable personnage. L’autre Léon, le plus jeune, revient à Maurice, à la rencontre des souvenirs de cette famille déchirée. Il retrouve une Anna vieillie, cassée, seule. C’est l’image émouvantes de ces parentèles qui se croisent, se détruisent et disparaissent c’est à dire le destin de la condition humaine.
J’ai surtout lu ce roman comme une allégorie de la vie où les humains sont précipités sur terre sans qu’on leur demande leur avis, avec mission de faire prévaloir la vie, se sauver eux- mêmes, malgré les souffrances, les combats, les échecs, les espoirs déçus, les moments d’éternité que prête l’amour, mais avec au bout la mort inévitable.
J’ai relu ce roman avec d’autant plus de plaisir que je suis resté longtemps, et à mon grand regret, incapable d’entrer dans l’univers créatif de Le Clézio. Je salue en lui ce que devrait être tout écrivain, c’est à dire un serviteur de notre belle langue française. Son style fluide, poétique évoque cette île perdue dans l’océan indien et pour moi qui ait de la famille une notion très vague, je suis toujours étonné qu’un écrivain évoque ainsi, et avec talent, la mémoire des siens.
©Hervé Gautier mhttp:// hervegautier.e-monsite.comN° 1423 - Janvier 2020.
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