la feuille volante

La succession

La Feuille Volante n° 1479 – Juin 2020.

 

La successionJean-Paul Dubois – Éditions de l’Olivier.

 

Le mot « succession » est synonyme de transmission de biens suite à un décès. C’est effectivement ce qui arrive à Paul Katrakilis, jeune médecin qui a préféré à sa sortie de la faculté la pelote basque à la médecine pour laquelle il n’était pas fait et pour cela s’est exilé en Floride où il vivote de sa passion en compagnie de son chien. Il veut sans doute tourner la page de son enfance plutôt chanceuse à défaut d’avoir été véritablement heureuse. Mais si on assimile volontiers les États-Unis au rêve américain, il finit par admettre qu’il s’agit pour lui d’un cauchemar et la France redevient son horizon à la mort de son père. Il est le fils d’Adrian, généraliste à Toulouse et l’unique héritier d’une lignée de trois praticiens dont le grand-père qui fut, dit-on, l’un des médecins de Staline. Il hérite effectivement de cette grande maison et peu ou prou de sa clientèle, tant la mémoire de son père était vivante et sa disparition regrettée. Les Katrakilis ne sont décidément pas une famille comme les autres puisque chacun des membres qu’il a connus est enveloppé d’une sorte de mystère qui tient autant du mythe que du mensonge et le père qui vient de disparaître s’est suicidé dans des conditions aussi mystérieuses que rocambolesques. Paul, évoquant la famille d’Ernest Hemingway, craint d’avoir hérité de ces gènes mortifères puisque sa mère, son oncle et son grand-père ont choisi aux aussi l’autodestruction. C’est cela aussi qu’il fuit en partant pour la Floride. La succession qu’il recueille ne se limite pas à la maison, et les petits carnets qu’il découvre et que son père tenait comme un journal intime, vont non seulement contribuer à lui révéler la vrai nature de cet homme dont il n’avait que des images fuyantes et surtout vont bouleverser sa vie. Par respect pour sa mémoire, parce que la souffrance de ses patients devient pour lui insupportable comme elle l’était pour son père, et peut-être aussi parce que c’est sa nature, il acceptera, comme le faisait Adrian, « d’aider » ses patients au mépris de la loi, du serment, de la pratique médicale, de la morale. Cela aussi fait partie de sa succession.

 

Jean-Paul Dubois est un écrivain que je découvre et cela me plaît bien. C’est un conteur hors pair qui sait toujours embarquer son lecteur dans des histoires qui ne sont peut-être pas toujours des fictions mais qu’il fait partager grâce à son style fluide, ses images délicieusement sensuelles, son humour subtil qui me procurent à chaque fois un dépaysement et un plaisir de lire un texte bien écrit, bien documenté, plein de sensibilité et d’humanisme, avec parfois un vocabulaire technique digne d’un médecin spécialiste et irrigué par une érudition encyclopédique. Chacun de ses livres n’est pas seulement une histoire racontée, c’est aussi l’occasion pour l’auteur d’exprimer ses convictions à travers le personnage de Paul, son attirance pour la beauté des femmes, sa fascination pour Ingvid, une femme qui pourrait être sa mère et avec qui il vit un amour impossible, celui qui fait jouir mais aussi qui fait souffrir, l’amitié longue et fidèle qui le lie à Epifanio, le parti-pris en faveur des plus défavorisés et des malheureux, des désespérés, le respect des autres, sa façon de porter un regard désabusé sur cette société, la complicité quasi humaine avec son chien, compagnon d’infortune, la solitude, son attirance vers la mort, à 44 ans !

 

Qu’est ce qui fait qu’un livre pris au hasard sur les rayonnages d’une bibliothèque ou lu volontairement à cause du nom de son auteur plaît à un lecteur ? L’histoire racontée, le style, le juste usage des mots, la beauté des images, le dépaysement, une complicité qui restera à jamais secrète mais que l’ambiance du texte fait que le lecteur se retrouve en pays connu. Le livre refermé qui appartient autant à celui qui l’a écrit qu’à celui qui l’a lu, il est est permis de s’interroger sur les raisons qui ont poussé Paul à en finir, mais non de les expliquer. Nous ne sommes que les usufruitiers d’une vie qui peut nous être enlevée à tout moment mais, en même temps, dans une sorte de paradoxe, nous pouvons aussi en disposer volontairement comme le fait Paul et avant lui sa parentèle. Liberté ou destin, allez savoir ! Il y a peut-être les gènes, le taux anormal de fer dans l’organisme ainsi qu’on l’a dit pour Hemingway ou une lassitude générale. Je ne suis pas spécialiste de ces détails scientifiques, en revanche la prise de conscience de l’impossibilité définitive d’être heureux en ce monde où on ne trouve décidément pas sa place peut sans doute expliquer ce geste fatal. En s’infligeant à lui-même cette mort aussi spectaculaire qu’avait été cette d’Adrian, il se libère de la solitude, de ses fantômes trop présents, de ses remords, de ses obsessions comme il épargnait jadis la souffrance à ceux qui le lui demandaient. C’est ça aussi sa succession.

 

©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite

 

 

 
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