Les accommodements raisonnables
- Par hervegautier
- Le 20/06/2022
- Dans Jean-Paul Dubois
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N°1649– Juin 2022
Les accommodements raisonnables – Jean-Paul Dubois - Éditions de l’Olivier.
Les deux frères Stern se haïssent cordialement et surtout ne se ressemblent pas. Charles, riche et flambeur doit son immense richesse à des manœuvres inavouables menées dans une période troublée, tandis qu’Alexandre est plus besogneux, moins hâbleur, plus traditionnel et même bigot. Après le brusque décès de Charles, Alexandre, son seul héritier, se transforme complètement et choisit de profiter de la fortune de son frère et même de sa maîtresse, baptisée John-Johny, qu’il veut épouser puisque son veuvage le lui permet, l’exact contraire de sa vie d’avant. Une telle métamorphose étonne ses proches mais c’est sans compter, certes avec la génétique et ses mystères, mais surtout avec l’égoïsme, l’hypocrisie et le mensonge inhérents à l’espèce humaine surtout quand l’intérêt ou le plaisir personnels sont en jeu.
C’est le fils d’Alexandre, Paul, la cinquantaine, qui évoque cette histoire, mais aussi sa réaction personnelle. Il est, pour l’heure, employé aux studios de cinéma de Los Angeles pour remanier des scenarios foireux. Pour cela il a laissé à Toulouse sa femme Anna, dépressive, ses trois enfants et ses petits enfants ; c’est une sorte de fuite puisqu’il s’aperçoit que tous ces gens lui échappent et son père cherche à ne pas distendre les liens qui l’unissent à ce fils désormais lointain. A Hollywood, il rencontre un autre monde différent, l’alcool, le sexe, l’argent, la drogue et même un étonnant champignon, mais ses névroses à lui s’éclairent à la rencontre de Selma Chantz, une femme sensuelle, la copie exacte d’Anna mais avec trente ans de moins et son père épouse John-Johny.
Parmi ces accommodements qui émaillent sa vie, Paul admet le nouvelle vie de son père et son mariage, la maladie et l’isolement de sa femme, l’éloignement de ses enfants et petits-enfants. Le mariage de son père le laisse quelque peu perplexe comme l’avait interloqué son changement d’attitude au décès de son frère. C’est sans doute étonnant de voir un homme âgé épouser une femme qui pourrait être sa fille, mais c’est relativement courant et Paul, toutes choses égales par ailleurs, tombe dans le même travers avec Selma, même s’il ne l’épouse pas. Je serai toujours étonné par cette réaction humaine de la part de gens, hommes et femmes, par ailleurs raisonnables, de tout abandonner ce qu’ils ont laborieusement construit pour un hypothétique bonheur dont nous savons qu’il n’est que temporaire, un coup de foudre comme une seconde naissance ou plus sûrement la volonté de rattraper le temps perdu, malgré la traditionnelle culpabilisation judéo-chrétienne. Vivre au quotidien, avec des sentiments, certes érodés par le temps, est peut-être raisonnable, ce qui l’est moins est de céder à une toquade, mais il est un fait que c’en est devenu banal. On dira ce qu’on voudra mais nous passons notre temps à nous adapter aux changements qui interviennent dans notre vie, que nous les ayons recherchés ou pas. Ils sont ces petits arrangements qui nous aident à en supporter les injustices, les maladies, les hasards, les choses que nous nous résignons à accepter ou les malheurs qu’elle nous impose, avec les regrets, les mensonges, les non-dits, les hypocrisies, et à faire prévaloir la vie sur la mort.
J’ai lu cela comme une histoire finalement bien ordinaire de la crise de la cinquantaine, une parenthèse américaine vite refermée qui veut faire échec au temps qui passe malgré nous, qui veut entretenir l’illusion qu’on peut sortir de la routine dans laquelle on s’est soi-même enfermé, que notre vie n’est que temporaire et qu’il faut laisser faire les choses et rentrer dans le rang.
J’ai retrouvé avec plaisir le style de Jean-Paul Dubois.
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