Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon
- Par hervegautier
- Le 22/06/2020
- Dans Jean-Paul Dubois
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La Feuille Volante n° 1477 – Juin 2020.
Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon – Jean-Paul Dubois – Éditions de l’Olivier. (Prix Goncourt 2019).
Une église ensablée au nord du Danemark, un père, pasteur protestant qui vient s’établir par amour dans le sud de la France, perd la foi, et qui, après son divorce, part exercer son désormais hypocrite mais talentueux ministère à l’autre bout du monde où il perdra son âme, une mère qui hérite d’une salle d’ « art et d’essai » qu’elle transforme par opportunisme commercial en temple du cinéma porno, refait sa vie et choisit sa mort, le bouleversement sociale et culturel de 1968 et, au milieu de tout cela, Paul Hansen, fils unique de ce couple éclaté qui tente d’exister comme un homme qui se noie. Comme souvent, ceux qui, comme lui, sont nés sous une mauvaise étoile, sont les oubliés de l’amour, les habitués de la solitude, pensent trouver la solution dans un métier de hasard ou le mariage, comme on joue au poker, en se disant qu’on a aussi droit au bonheur, que c’est toujours les mêmes qui s’en sortent, mais un tel destin pourri vous lâche rarement en cours de route et le sien, malgré toute sa bonne volonté, s’acharne sur lui. Même sa femme, mi-algonquine mi-irlandaise ne peut inverser pour lui le cours funeste des choses et quand on est comme Paul on attire la malveillance des autres qui justifient ainsi leurs actes malsains dans l’illusion qu’ils ont d’une importance artificielle et se croient autorisés à la faire prévaloir. On suscite ainsi toute la colère du monde, on fait office malgré soi de bouc émissaire et comme si cela ne suffisait pas c’est la mort qui en rajoute une couche en se chargeant de faire le vide autour de lui. Las il se retrouve dans une prison québécoise pour une agression vengeresse provoquée par des années de frustrations recuites et d’abnégation silencieuse, une façon de réagir violemment contre l’adversité et ceux qui en sont les complices. En compagnie de son codétenu, un « Hell Angels »amoureux des motos, attachant, fragile et même protecteur, il évoque comme une sorte d’évasion cathartique son parcours cahoteux, celui de sa famille qui ne l’est pas moins, comme un long chemin de croix.
Le titre ressemble à un truisme mais c’est un roman passionnant et émouvant, bien documenté sur le Québec (et pas seulement), son histoire tourmentée, sa géographie, ses habitants qui sont nos cousins longtemps oubliés. J’ai goûté avec plaisir ce style qui sert si bien notre belle langue française, j’ai apprécié cet humour subtil parce qu’il faut bien rire de tout et que c’est souvent la seule façon qu’on a d’accepter la fatalité. J’ai aimé les descriptions poétiques, les remarques pertinentes sur l’espèce humaine, son incompréhensible habitude, pour supporter son parcours dans ce monde, de s’en remettre à un dieu pourtant bien absent, son inexplicable foi dans l’avenir surtout quand tout se dérobe, les remarques sur les sociétés reconnues pour leur attractivité, sur les a priori qu’on tisse et qu’on entretient sur ses semblables. J’y ai aussi lu une sorte de désespérance sournoise mais qui, paradoxalement, vous pousse à vous maintenir quand même en vie, une impossibilité définitive de réaliser ses rêves, le poids du destin qui vous étouffe et vous détruit, quoique vous fassiez, bref une réflexion sur cette condition d’homme quasi ordinaire, mais aussi sur cette nature humaine, capable du pire comme du meilleur mais bien souvent du pire, un exemple à cent lieues de cette réussite obligatoire dans cette société policée dont on ne rebat un peu trop les oreilles.
Le livre refermé on ne peut qu’avoir de l’empathie pour cet homme que le destin et la mesquinerie des hommes accablent. C’est l’image même de notre société.
©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsiteN° 1423 - Janvier 2020.
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