Une vie française
- Par hervegautier
- Le 28/06/2020
- Dans Jean-Paul Dubois
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La Feuille Volante n° 1478– Juin 2020.
Une vie française – Jean-Paul Dubois – Éditions de l’Olivier.
L’histoire de la vie de Paul Blick, le narrateur, commence, alors qu’il n’a que huit ans avec l’annonce de la mort de son frère aîné qui planera sur toute sa vie, pourtant tout le roman se déroule au rythme des présidents successifs de la V° République et, de fait, tous ses apprentissages d’adolescent et ses actions d’homme mûr ont pour arrière-plan des slogans politiques, des moments de la vie publique et des soubresauts du quotidien et de l’Histoire, un peu comme si sa propre vie se confondait avec celle de la nation, mais de loin seulement. Je ne peux que lui donner raison et j’ai retrouvé, sans réel plaisir, des épisodes de la vie publique que l’auteur a connus et qui m’appartiennent aussi, parce que ce passé immédiat ne m’a jamais tellement passionné et surtout parce que je n’ai que très peu d’affinités avec les hommes politiques de tout bord, devenus de véritables parasites hypocrites surtout désireux de profiter des avantages du pouvoir en faisant semblant de croire qu’ainsi tout leur est permis, tout en n’oubliant pas de nous tenir des propos lénifiants voire culpabilisants. Il ne se prive d’ailleurs pas pour donner son avis de vaguement gauchiste sur ceux qui nous ont gouvernés au sein de cette république monarchique, comme d’ailleurs sur l’espèce humaine en général et même sur les religions et sur Dieu. Ses remarques m’ont paru bien pertinentes !
Même si son parcours est un peu déjanté, je dois avouer que je l’ai suivi avec un état d’esprit à la fois dubitatif et enthousiaste. Il est vrai que je découvre son univers créatif et que son roman « Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon » m’a ému par son humanité. C’est bien écrit, le style est alerte et fluide, les descriptions sont poétiques, parfois délicieusement sensuelles ou joliment fantasmatiques avec cette constante fascination pour la beauté des femmes et j’aime toujours autant qu’un auteur serve avec talent notre si belle langue française. Il le fait même avec un subtil humour primesautier qui peut donner à penser qu’il a vécu autant dans la tourmente libératrice et libertaire de 68 que plus tard dans ses années de maturité, « une époque formidable » qui l’a autorisé néanmoins à endosser l’improbable fonction de père de famille, sans pour autant faire une croix sur les plaisirs de la vie, les caprices d’enfant gâté et la douce insouciance. Il déroule son parcours, ses tentatives entre enthousiasme et désillusions au sein des familles qu’il a côtoyées où des gens qui ne se ressemblent pas s’unissent, se jurent fidélité, se déchirent, se trahissent, se séparent et recommencent une nouvelle vie, c’est à dire l’ordinaire de bien des couples, entre désamour et ennui, le grand amour des débuts qui se mue en adultère comme solution de remplacement et la mort qui vient parfois à point nommé pour remettre les choses à leur vraie place. Et pendant ce temps la vie suit son cours avec son cortège de regrets et de remords, de maladies et de deuils, les enfants grandissent et partent, éternel recommencement, la solitude et la vieillesse s’installent malgré le déni et ceux qu’on croyait connaître révèlent brutalement leurs fragilités, leurs lâchetés mais surtout leurs zones d’ombre ...
La mort d’un enfant est une suprême injustice qu’aucune religion ne peut ni justifier ni apaiser et pourrit définitivement la vie des survivants. Pour Paul, malgré une vie excentrique et outrageusement chanceuse, se dessine en contre-point le fantôme de ce frère trop tôt disparu. Cette atmosphère de bouleversement intime, de chagrin, de déréliction baigne cependant durablement ce roman et même si, comme on dit, le temps fait son œuvre, la résilience peinera toujours à le cicatriser. Il y a d’ailleurs beaucoup de décès dans les romans de notre auteur, sans doute une façon de nous rappeler que la vie n’est pas si belle qu’on le dit, que rien n’est définitif et que nous ne sommes que les modestes usufruitiers de notre propre vie qui peut nous être enlevée à tout instant.
Le titre a quelque chose de pompeux propre à décourager le lecteur par son côté doctoral, mais le livre refermé, la vie de Paul qui a le plus souvent été agréable se termine en rappelant notre pauvre « condition humaine », celle de n’être qu’un mortel de passage, vite oublié et qui parfois aspire au néant.
©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite
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