L'APPAREIL PHOTO
- Par hervegautier
- Le 27/05/2015
- Dans Jean-Philippe TOUSSAINT
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N°914– Mai 2015
L'APPAREIL PHOTO- Jean-Philippe TOUSSAINT – Les éditions de Minuit.
J'aborde actuellement les romans de Jean-Philippe Toussaint. J'en retiens une impression bizarre comme une succession de scènes sans forcément de rapport les unes avec les autres, une sorte de récit où il ne se passe rien d'important, une somme d'actions décrites dans le détail avec des mots agréables à lire mais sans davantage de cohérence. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'il est question de vide, mais presque, un peu comme si le narrateur se laissait porter par les événements de sa vie courante sans vouloir réagir, s'abandonnant au hasard, supportant et assumant l'absurde de cette situation. Cette vacuité qui ne me gêne pas puisqu'elle peut être regardée comme l'image de notre vie à tous, superficielle, banale, joue une petite musique mélancolique assez agréable quand même.
Ici le prétexte du début est une séries de leçons de conduite (pourquoi pas?) qu'il se propose de suivre dans une école puis, rapidement, le narrateur, dont on ne sait pas grand-chose (mais peu importe) nous invite, sur le ton de la confidence à partager le début d'une liaison avec la secrétaire de cette officine. L'action est lente, s'égare dans l'évocation d'un passé plus ou moins immédiat. Cette lenteur est soulignée par des phrases démesurément longues et même délicatement festonnées. Cette histoire un peu incertaine va devenir une histoire d'amour sans qu'on sache très bien la part qu'y prend le hasard et celle de la volonté individuelle. La jeune femme , Pascale, qui est aussi peu réactive que lui face à sa propre vie va le laisser s'installer dans son existence, lui laisser en quelque sorte jouer le rôle du père face à son jeune fils dont le véritable géniteur a préféré un divorce dont elle se remet mal. Elle disparaît néanmoins à la fin du roman et donne l'impression d'avoir quitté la vie du narrateur aussi facilement qu'elle y entrée. C'est étonnant de la part de cet homme qui ne semble pas être un Don Juan, d'avoir réussi à séduire aussi facilement cette femme mais on peut douter de cet amour partagé puisque, si lui semble beaucoup l'aimer, elle en revanche donne l'image d'une dormeuse apathique quand elle est avec lui !
Au cours de ce récit, le narrateur en profite, on se demande bien pourquoi, pour nous décrire avec un luxe de détails, l’achat d'un paquet de chips qu'il va ensuite consommer dans les toilettes tout en laissant son esprit vagabonder au gré de ses pensées, les moments anodins d'une leçon de conduite, la constitution volontairement lente de son dossier, la délicieuse et intemporelle aventure autour de l'achat d'une bouteille de gaz…
Le style n'est pas désagréable, bien au contraire puisqu'il adopte le rythme et surtout le ton de la confidence, de l’ironie parfois et même du burlesque
Quid de l'appareil photo dans tout cela ? Eh bien c'est le narrateur lui-même qui le trouvera dans le ferry qui le ramène d'Angleterre et il en profitera pour fixer sur la pellicule des instants fugaces de sa vie, autant dire qu'il va servir à photographier le néant. C'est sans doute un peu le message que veut nous délivrer l'auteur puisque, lorsque les clichés seront développés, ils ne représenteront que ce que le propriétaire précédent avait choisi de photographier. Les scènes que le narrateur avait voulu immortaliser n'ont laissé aucune trace !
Je distingue quand même deux parties d’inégale longueur dans ce roman. Si la légèreté semble baigner la première, le ton se fait plus grave dans la seconde, la pensée du narrateur devient profonde et prend le pas sur l'anecdote quotidienne et banale du début. J'y vois personnellement une certaine marque de désespoir, de solitude, une difficulté d'être, le narrateur semblant vivre dans un microcosme personnel.
Alors, autodérision de la part d'un quidam qui ne laissera aucune trace de son passage sur terre? Peut-être mais cet homme me paraît à moi tout particulièrement sympathique, à cause d'une éventuelle parenté entre nous peut-être ? En tout cas, j'ai bien aimé autant l'histoire (ou l'absence d'histoire) que le style, à la fois subtil, simple, mélancolique et poétique. C’est un « roman minimaliste » et même infinitésimal suivant l'expression choisie par la critique, une sorte de manière de s’inscrire entre deux mondes, entre deux infinis, et c'est peut-être là que se trouve l'inspiration créatrice, allez savoir ?.
©Hervé GAUTIER – Mai 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com
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