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la feuille volante

Jean ROUSSELOT, un poète à l'écoute du monde.

 

Je voudrais aujourd'hui, même si INFO-POESIE ne paraît plus, faire partager une étude qui y a été publiée et qui concerne le poème majeur qu'est Jean ROUSSELOT (1913-2004)

 

N°12

Février 1986

 

Jean ROUSSELOT, un poète à l'écoute du monde.

 

 

Info-poèsie publie un numéro spécial consacré à Jean Rousselot.

 

Sang, tel est bien le maître-mot de la poésie de Jean Rousselot, mais le sang de la mort et de la maladie devient celui de la naissance, de la renaissance, de la fertilité, mieux, il est le flot bouillonnant, la sève de la vie de l'homme-arbre. Sous sa plume, c'est aussi la source de l'énergie et du désir. Associé au feu, il devient synonyme de vitalité et de chaleur humaine, il est le nectar sacré, source de vie, rempart contre la fuite du temps, facteur d'éternité et c'est tout naturellement que le message chrétien passe à travers « le sang versé » qui génère la vie éternelle. Ainsi, la quête poétique devient-elle quête du Graal et la filiation avec Guillaume Appolinaire, réalité.

 

Le sang est aussi symbole de filiation entre le poète et le peuple, ce qui amène Rousselot à revendiquer des origines populaires dont il est fier à juste titre, mais cela va plus loin, elle pousse ses racines dans la grande famille des poètes.

A partir de cette image du sang, l'auteur s'intéresse à celui qui court sous la peau, mais aussi sous la terre, sous l'écorce, celui qui irrigue tous les mondes cachés, ce qui évoque la fascination des profondeurs. De cette quête passionnée naît le thème du voyage, du mouvement, de l'errance mais aussi celui du paradis perdu d'où le poète est exclus. La douleur apparaît aussi qui fait de la poésie de Rousselot une écriture d'un corps en lutte pour la vie.

 

Évoquant le décor froid et noir de son enfance poitevine où les choses s'établissaient dans une dureté à laquelle il n'était pas possible d'échapper avec la force des mots, Rousselot se présente à nous comme un poète tragique. C'est toute la condition humaine qui est ici évoquée. Une déchirure en résulte qui est non seulement intérieure, voire intime, mais également qui prend sa source dans les événements de la deuxième guerre mondiale. Dès lors son rêve, son idéal s'effondrent. Avec « L'homme au milieu du monde », Rousselot s'éveille à la perception des autres. Il ressentira certes l'écrasement, mais luttera avec espoir au nom des hommes et avec eux : il deviendra unanimiste. De là une volonté de ne pas se renfermer sur soi-même, de sourire à la vie, aux femmes... Il témoignera et participera de ce fait au monde des vivants.

 

Ce désir d'union s'établit en deux symboles, celui du pain et celui du feu. L'union devient partage et addition des forces, termes qui se conjuguent et se complètent pour s'épanouir dans une image de la femme chargée de vie et d'espoir.

 

Le poème est le devoir du poète. Il puise son existence aux racines mêmes de la vie, mais le langage porte en lui l'incommunicabilité qui rend la démarche difficile. Pourtant le poète est un veilleur générant des ferments d'avenir, les « grains de l'écriture ». Face aux réalité et aux contingences de l'humaine condition les mots se dressent, ils sont des outils des instruments dont le poète joue mais qui sont aussi parfois autant de pièges. Ils doivent, pour être vrais, puiser leur signification au cœur du vécu sous peine de n'être que du vent. Le langage est remis en question et habillé de doute car l'écriture n'est pas linéaire : il y a des moments de sécheresse, d'abattement... Cependant la poésie colle à la peau , s'insinue, revient à la charge, s'impose au point de trahir l'auteur qui pourtant ne peut vivre sans elle. Il doit donc jouer son rôle avec humilité puisque, au bout du compte la mort sera la plus forte et l'indifférence accueillera son cri pourtant vital. La poésie est engagement au service de l'homme, même dans ses plus subtiles contradictions. La créativité de Rousselot est liée à la vie mais a su évoluer au rythme de l'homme, s'organiser en termes précis, clairs, riches mais aussi simples voire populaires.

 

Il y a, pour lui, une deuxième raison de vivre: c'est la femme. Ce sont plutôt des femmes plurielles qu'il aperçoit dans la rue au hasard d'une rencontre fugace. De leur visage qui se dissipe dans la foule, il reste une image érotique que le poète sacralise, mais quand elles deviennent inaccessibles, le charme se rompt et elles redeviennent chair, c'est à dire promises à la mort. Il les traite alors avec ironie, voire mépris, révélant ce mélange d'attirance et de crainte qu'il éprouve devant elles.

 

La femme est pourtant associée au feu libérateur, à la chaleur, à la mère, recherchée à travers la femme aimée et elle devient médiatrice entre l'homme et le monde. La passion amoureuse devient éclatement, libération, et fait pièce au quotidien, au trépas... Des comparaisons reviennent, ce sont le pain, le lait, mais aussi le feu et l'eau, images paradoxales qui évoquent la pureté. Vierge et nue, la femme est assimilée à l'oiseau qui hante le monde des airs. Elle devient synthèse de l'univers et l'homme doit s'unir à elle car elle est le siège de découvertes nouvelles, de richesses à partager. Cette source n'est jamais tarie et, à partir d'elle, la communication est de règle: la femme devient la compagne absolue, intime, à un point tel que la parole est désormais inutile. La séparation d'avec elle est dès lors insupportable, la femme supplante l'homme jusqu'à devenir fascination, objet érotique et désir de vassalisation à sa personne. Aussi la mort ne pèse-t-elle plus rien si elle prend en même l'homme et la femme!

 

A partir de la cinquantaine Jean Rousselot évoque l'outrage du temps. Cela se sent au niveau des mots et la mort est de plus en plus pesante. L'auteur lui oppose l'humour, la dérision, la colère, l'impuissance aussi, mais l'accepte stoïquement. Le poète est habité par la détresse est « Hors d'eau » est une sorte de journal de bords où il n'en réaffirme pas moins sa présence au monde, dans un monde ou pourtant rien n'est stable, qui s'inscrit entre le passé et l'avenir qui certes inspire la lucidité mais impose une remise en cause continuelle .

 

Le message de Rousselot est donc l'expression de l'homme et le désir constant de changer le monde.

 

 

© Hervé GAUTIER. - Février 1986.

 

Cette étude très documentée, émaillée de dessins de Jean Rousselot lui-même est due à Joël Gueno et a été publiée dans Info-Poésie.

 
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