la feuille volante

Le sermon sur la chute de Rome

La Feuille Volante n° 1152

Le Sermon sur la chute de Rome – Jérôme Ferrarri – Actes Sud (Goncourt 2012)

 

« La philosophie mène à tout à condition d'en sortir » c'est sans doute ce que se sont dit Matthieu Antonetti et Libero Pintus, des enfants du pays et amis d'enfance quand ils ont repris, après leur licence de philosophie, le bar de ce petit village corse qui avait bien failli disparaître. Rapidement, ce débit de boissons devient le centre du village et même de la vie nocturne de la région. Tout était donc pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles mais petit à petit, autant pour des raisons extérieures que à cause de drames intimes et familiaux, les choses se dégradent et ce qui était une bonne affaire commerciale se transforme en fiasco. L'auteur y déroule l'histoire de la famille Antonetti à la généalogie compliquée et au parcours qui ne l'est pas moins, notamment celui de Marcel, le père de Matthieu.

Augustin d'Hippone, qui sera plus tard connu sous le nom de St Augustin, prononça son « Sermon sur la chute de Rome », après le sac par les Wisigoths de la Ville éternelle en 410. On en accusait les chrétiens à cause de leur religion nouvelle introduite dans l'empire. Augustin démentit, évidemment et rétorqua que Rome n'était pas éternelle, comme d'ailleurs l'homme de chair et les choses humaines, que seul Dieu survit à tout. D'ailleurs les différentes parties de ce livre sont introduites par des citations augustiniennes.

Le lien entre ces deux histoires, l'une réelle et l'autre fictive est qu'elles s’inscrivent dans le déroulé des choses humaines promises à la destruction. L'auteur prend en exemple l'Empire français sur lequel jadis le soleil ne se couchait jamais mais qui n'échappa pas, sous les coups de la victoire de Diên Biên Phu, aux velléités d'indépendance des pays africains et à ce qu'on a appelé tardivement « la guerre d'Algérie », au délitement, pour ne plus exister encore que sous la forme de confettis ultramarins. C'est en effet un réflexe dominateur mais irraisonnable et parfaitement humain que de vouloir acquérir chaque jour davantage, plus d'argent, plus de biens et donc plus de pouvoirs. Pourtant tout ce qui touche à l'homme est périssable, à l'image de nous-mêmes, de notre corps détruit chaque jour par la maladie, les accidents et le vieillissement, même si nous œuvrons en sens contraire. Le poète le rappelle à l'envi, « Rien n'est jamais acquis à l'homme, ni sa force, ni sa faiblesse, ni son cœur», notre destin se réalise toujours malgré nous, nous faisons notre parcours parce que nous sommes faits pour quelque chose que nous ne soupçonnons parfois pas nous-mêmes, nous le faisons volontairement et ce, même si nous nous sommes jurés de faire l'inverse, même si nous rêvions d'autre chose, un peu comme si une divinité perverse nous y poussait que nous pouvons appeler hasard, quand nous ne refaisons pas, malgré nous, l'exemple pas forcément bon donné par nos parents. Dès lors que nous naissons, par accident ou par amour, notre bulletin de naissance sera, tôt ou tard, suivi par un certificat de décès parce que nous ne sommes que les usufruitiers de notre propre vie qui elle-même est transitoire. Nous appartenons à l'humanité, c'est à dire que nous ne sommes pas seuls et nous pouvons aussi redouter que les autres, et plus précisément nos proches, se mettent en travers de notre route et compromettent nos projets les plus enthousiastes et ce malgré tous les serments et les promesses échangés, quand nous ne nous en chargeons pas nous-mêmes ! Et l'auteur de citer Saint Augustin lui-même « Ce que l'homme fait, l'homme le défait ». Ainsi Aurélie, la sœur de Matthieu, qui part faire des fouilles sur le site d'Hippone ne retrouvera rien de la cathédrale ou prêcha, des siècles auparavant, le saint homme, pas plus d'ailleurs qu'elle ne trouvera l'amour.

 

Dans un style somptueux et poétique, malgré toutefois la longueur de ses phrases, l'auteur nous fait partager sa vision des choses humaines, effectivement vouées à la disparition à travers la multiplicité des personnages de ce roman, sans doute pour nous montrer qu'elle est effectivement la mieux partagée.

 
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