In altre parole
- Par hervegautier
- Le 07/06/2016
- Dans Jhumpa Lahiri
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La Feuille Volante n°1048– Juin 2016
In altre Parole – Jhumpa Lahiri. Ugo Guanda Editore in Parma.
Comme le dit si bien Cioran " On n'habite pas un pays, on habite une langue" et c'est sans doute ce qui caractérise cette auteure, née à Londres en 1967 de parents bengalis, qui a suivi des études de littératures comparées à l'université de Boston pour ensuite s'installer à New York. Elle s'exprime donc en anglais, et c'est dans cette langue qu'elle a écrit "L'interprète des maladies" (Prix Pulitzer 2000) et "Un nom pour un autre" roman adapté au cinéma en 2007. Est-ce parce qu'elle a grandi dans l'état américain de Nouvelle-Angleterre, terre découverte en 1524 par l'explorateur Giovanni da Verrazzano qu'elle a choisi l'italien pour écrire ce témoignage ? Toujours est-il que Jhumpa a préféré s'exprimer dans une langue qui n'est pas la sienne à la suite d'une visite à Florence, cette merveilleuse ville de Toscane qui porte un nom de femme.
Ce livre a été écrit directement en italien par cette auteur dont le parler maternel est le bengalis et qui s'est toujours exprimée en anglais. C'est l'évocation d'un parcours et d'une découverte de cette langue et de cette culture, à la fois puissants et fluides, parce que la motivation de tout cela est avant tout le désir, une sorte de besoin de s'exprimer et de penser autrement. D'emblée elle compare l'étude de l'italien à un bain dans l'eau d'un lac, à la fois un plaisir et un exercice d'apprentissage, une véritable métaphore assurément. Elle relate sa première rencontre avec cette langue, à Florence, un parler que certes elle ignorait où tout pour elle était à découvrir mais qui lui était quand même familier à cause sans doute de sa musicalité, du côté théâtral de cette ville et de ses habitants. Elle ressentait pour elle comme un lien affectif, un véritable coup de foudre. Pour autant les difficultés n'ont pas manqué de se révéler parce que rien n'est facile, il reste toujours des automatismes, mais l'attirance pour le pays et pour la langue a été la plus forte et ce furent d’autres voyages, une étude plus poussée chez elle à New-York puis une installation à Rome avec sa famille, malgré les difficultés de l'expatriation et bien sûr l'usage du langage. C'est presque naturellement qu'elle fit aussi la démarche d'écriture parce que sa qualité d'écrivain ne pouvait pas ne pas s'adapter à cette nouvelle manière de s'exprimer. De plus le fait d'écrire et plus spécialement en italien, est pour elle une sorte de révélateur, un peu comme si elle avait ainsi trouvé sa véritable identité, elle qui appartenait certes à deux cultures mais n'en avait peut-être aucune complètement. Suivent des remarques passionnantes sur l'écriture en général et plus spécialement sur la démarche qui a été la sienne, pas toujours reçues comme telles cependant.
On peut traduire ce titre par « en d'autres termes » ou par « avec d'autres mots », une manière d'exprimer différemment une démarche qui non seulement est originale mais aussi qui procède d'un certain mystère, un peu comme si, à l'aide d'une sorte de mémoire héréditaire, c'est à dire étrangère à la sienne propre, et malgré les difficultés de toutes sortes, les doutes, la facilité apparente, la parenté avec le latin que, plus jeune elle pratiquait, elle remettait, avec beaucoup d'humilité, ses pas dans une dimension déjà connue, dans une sorte de vie antérieure...Elle confie au lecteur les divers obstacles qu'elle a rencontrés, les méthodes empiriques et pragmatiques qu'elle a adoptées pour en triompher.
Cette démarche ne pouvait me laisser indifférent parce que, toutes choses égales par ailleurs, j'ai toujours, moi aussi ressenti une attirance irraisonnée pour l'italien, rencontré pourtant bien tard dans ma vie et donc avec davantage de difficultés, notamment de mémorisation. Je ne saurais dire pourquoi mais cette langue m'a toujours fasciné, même si je ne la comprenais pas. Et puis,il y a tellement d'Italiens qui parlent le français et peu de Français qui font l'effort de parler cette langue pourtant cousine que cela me paraissait une évidence que d'aller en ce sens. J'aime cette façon de s'exprimer, à la fois mélodieuse et légère que j'ai retrouvée avec plaisir dans les mots de Jhumpa, lus à haute voix comme il convient pour en apprécier la musique. Cela a été pour moi l'occasion de me remettre en question, d'y puiser peut-être des encouragements et de penser que, peut-être un jour, je serai capable, moi aussi, de rédiger cette chronique dans cette langue… Oui je sais, je rêve !
© Hervé GAUTIER – Juin 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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