l'Aleph
- Par hervegautier
- Le 18/02/2020
- Dans Jorge Luis Borges
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N° 1431 - Février 2020.
L’Aleph – Jorge Luis Borges – Gallimard.
Traduit de l'espagnol par Roger Gallois et et René LF Durand.
Le titre tout d’abord évoque la première lettre de l’alphabet hébreux, elle-même issue de l’écriture phénicienne et on peut y voir une idée de début de quelque chose puisque, dans les autres alphabets cela aurait donné le A. En mathématiques c’est « Le nombre d’éléments d’un ensemble infini », une sorte d’idée d’α et d’ω. Dans cette nouvelle éponyme l’auteur nous confie que c’est « l’un des points de l’espace qui contient tous les points… le lieu où se trouvent sans se confondre, tous les lieux de l’univers ». Pour Borges on pourrait le définir comme le concept d’un savoir impossible où se croisent toutes les disciplines. Plus simplement c’est un ensemble de 17 nouvelles fantastiques, écrites par Borges à différentes périodes de sa vie dont chacune raconte une histoire distincte, soit à la première personne sur le ton de la confidence, soit sous la forme d’une histoire narrée par un témoin, avec des symétries, des antinomies, des préoccupations obsessionnelles propres à l’auteur. Le concept d’oxymore est d’ailleurs présent dans ce recueil. Il est un écrivain réputé difficile qui donne à réfléchir, mais on y retrouve ses thèmes métaphysiques favoris, l’immortalité, la notion d’infini, l’existence de Dieu et sa difficile connaissance par l’homme, le bien et le mal, la vie, le labyrinthe en même temps que la dualité de l’homme, sa folie, ses obsessions, son destin parfois brisé, parfois surprenant voire contradictoire et qui le met souvent dans des situations ambiguës, sa mort dans la violence, la trace qu’il laisse, souvent ténue et vite oubliée dans la mémoire des autres hommes, autant dire des questions existentielles que tout homme est capable de se poser. Argentin, Borges y ajoute une certaine admiration pour les gauchos, leur mode de vie et leur liberté, leurs absence d’attaches, le tout enveloppé dans une immense érudition de nature notamment mythologique, théologique et philosophique, une grande culture et dans un style parfois diffus mais agréable à lire. Il nous rappelle que la vie est une quête, un combat avec beaucoup de cruauté et de vengeance, qui se termine inéluctablement par la mort. Chaque texte demanderait un commentaire approfondi mais je voudrais mettre l’accent sur le miroir dont l’exemple revient souvent dans ces textes. Il met en exergue cette notion de la double nature que l’homme porte en lui, l’image réelle qui est celle qu’il donne à voir et celle, virtuelle et bien différente parce qu’inversée et située derrière la glace, qu’il est seul à voir et à connaître, lue dans son propre reflet. Cela fait de Borges, certes un conteur d’exception, mais aussi, à travers les personnages qu’il met en scène, un fin observateur de la condition humaine.
L’idée du labyrinthe appelle l’image du Minotaure d’ailleurs évoquée dans une nouvelle. Elle peut sans doute être rapprochée de la lettre « Aleph » qui donne son titre au recueil et qui, dans l’écriture phénicienne, signifie taureau.
Je me suis souvent demandé ce qui pousse quelqu’un à écrire. C’est souvent la volonté de raconter une histoire réelle ou imaginaire, ces deux concepts qui, sous la plume de l’écrivain se conjuguent et se complètent, peuvent parfaitement se contredire, s’inverser ou se renforcer. Dans ce processus narratif et descriptif il y met toute son inspiration, sa sensibilité, son travail, son humanisme, ses convictions, ou laisse libre court à son inconscient comme l’ont fait les surréalistes. Cette volonté d’écrire réside autant dans la faculté d’accepter les épreuves ou de les exorciser dans le huit clos de son intimité que de rechercher la reconnaissance, la notoriété ou de stabilité financière. Il y a aussi, me semble-t-il, de l’utopie, de l’idéalisme à écrire, une volonté d’expliquer le monde dans lequel il vit ou de le refaire à sa convenance, autant dire une constante de la condition de certains hommes d’exception. Cette quête menée dans les arcanes de soi-même me paraît révéler aussi sa propre solitude et c’est, me semble-t-il, ce qui principalement motive l’écriture, et peut-être, pourquoi pas, celle de Borges ?
©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com
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