LE DIEU MANCHOT – José Saramago
- Par hervegautier
- Le 07/05/2011
- Dans José Saramago
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N°519 – Mai 2011.
LE DIEU MANCHOT – José Saramago – Albin Michel.
Traduit du portugais par Geneviève Leibrich.
Nous sommes au XVIII° siècle au Portugal sous le règne de Jean V dit « le Magnanime » (1706-1750). Ce roi fait le serment à Dieu de lui élever un couvent dans la ville de Mafrat contre la promesse d'un héritier légitime. L'infante Maria Barbara naîtra peu après. Ce projet vaniteux et quelque peu pharaonien devra rivaliser avec St Pierre de Rome devient possible grâce à l'or du Brésil.
Ce texte met en scène Balthazar Mateus, dit Sept Soleils, un soldat portugais que la guerre a rendu manchot de la main gauche, mendiant et vagabond et Blimunda, une sorte de sorcière qui a le pouvoir de lire dans les âmes de ses contemporains. Ensemble, ils forment un couple symbolique mais surtout illégitime, condamné par l'Église mais pas par le Père jésuite Bartolomeu de Gusmão (1685-1724), un génial et authentique inventeur qui a conçu la « Passarole », une machine au mécanisme compliqué à base de boules d'ambre, d'aimants, de chaleur du soleil, de voiles, de sphères contenant des volontés humaines et... de grâce de Dieu ! En principe, elle doit s'élever « en vertu d'attraction contraire à la chute des corps graves ». C'est lui d'ailleurs qui révèle à Balthazar que Dieu est, comme lui, manchot de la main gauche [« Je suis le seul à le dire mais Dieu n'a pas de main gauche puisque c'est à sa droite que s'asseyent les élus... Personne de s'assied à la gauche de Dieu, c'est le vide, le néant, l'absence d'où il résulte que Dieu est manchot. »] et qui baptise sa compagne du nom de « Sept-Lunes ».
Cette femme révèle à son compagnon des vérités religieuses qui vont à l'encontre de l'enseignement catholique [ « Les saints n'ont pas été sauvés...personne n'est sauvé et personne n'est damné... Le péché n'existe pas, seuls existent la vie et la mort »]. Ensemble, ils secondent le jésuite dans la construction de cette machine qui volera effectivement devant le roi en 1710 (et donc bien avant la montgolfière) mais dont le projet, quelque peu dangereux sera abandonné. (La relation romancée du premier vol de cette machine tel que l'imagine Saramago est particulièrement savoureuse).
Baltahazar et Blimunda vivent sans doute dans le péché, mais le moine en fait encore un bien plus grand qui est de vouloir voler, c'est à dire de vouloir aller contre les choses établies par Dieu et ainsi vouloir l'offenser. Ainsi le prêtre est inquiet parce que l'inquisition veille et craint autant pour sa vie que pour son invention. D'ailleurs la mère de Blimunda est morte sur le bucher du Saint Office pour sorcellerie.
C'est aussi l'occasion pour l'auteur de nous conter, à travers les yeux de Balthazar, l'histoire de ces opprimés qui construisent le monastère de Mafrat. Ce chantier sera une hécatombe pour les ouvriers chargés de sa construction, recrutés et traités comme de véritables esclaves. A dix sept ans, Maria Barbara part du Portugal pour devenir reine d'Espagne mais le monastère qu'on va consacrer n'est même pas encore terminé.
Publié en 1982, ce roman épique promène le lecteur dans une Lisbonne baroque faite de richesses des découvertes, de dévotions religieuses, d'autodafés, de fornications adultères, de luttes d'influence, de sorcières, d'alchimie, d'inquisiteurs, de nobles, de toute une population interlope, d'un petit peuple qu'on sacrifie pour l'édification de ce monastère, de mortifications religieuses inutiles, avec, en toile de fond, le clavecin de Domenico Scarlati... C'est une histoire d'amour, une fable blasphématoire autant qu'un roman historique qui replonge le lecteur dans cette société lusitanienne du XVIII d'avant le tremblement de terre de 1755.
En dépit de phrases longues et difficiles à suivre parfois, à cause de la ponctuation et des dialogues disposés bizarrement, l'auteur, dans un style luxuriant, poétique, jubilatoire et complice, transporte littéralement son lecteur dans une ambiance dépaysante et particulière qui le fascine.
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