LES INTERMITTENCES DE LA MORT – José Saramago
- Par hervegautier
- Le 24/11/2010
- Dans José Saramago
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N°476– Novembre 2010.
LES INTERMITTENCES DE LA MORT – José Saramago *[1922-2010]– Le Seuil.
Dès la première ligne le ton est donné « Le lendemain personne ne mourut ».
C'est que dans ce pays imaginaire, la mort n'existe plus. Certes le temps n'est pas aboli, la jeunesse n'est pas éternelle et les gens vieillissent, les accidents se produisent et la maladie sévit toujours mais la mort n'intervient pas, transformant la vie en une gigantesque agonie. « Depuis le début de l'an neuf, plus précisément depuis zéro heure de ce mois de janvier pas un seul décès n'avait été enregistré dans l'ensemble du pays ».
L'auteur s'attaque à sa manière au grand tabou de nos société occidentales : la mort. Elle est certes inévitable, fait partie de la condition humaine, mais nous vivons comme si elle n'existait pas et ce vieux rêve de l'homme, l'immortalité, prend ici corps dans une longue et douloureuse vieillesse. La société est complètement désorganisée, les vieux ne meurent plus comme avant, les hôpitaux sont surchargés, les pompes funèbres et les société d'assurances ruinées, l'État désemparé et au bord de la faillite, le société dans son ensemble complètement perturbée (ne parlons pas du financement des retraites !), l'Église dépossédée de son fonds de commerce. En effet, la mort ayant disparu, plus de résurrection, plus de morale, plus de menaces surréalistes avec la sanction de l'enfer ou de promesse du paradis. C'en est fini des fantasmes judéo-chrétiens... Quant à l'idée même de Dieu, il vaut mieux ne pas l'évoquer ! L'homme ne peut plus basculer dans le néant ni s'offrir à lui-même son propre trépas comme une délivrance. On ne peut même plus se servir des accidents pour faire peur aux imprudents... Reste la souffrance aussi implacable que la peur de mourir, comme une punition ! C'est un peu comme si le premier jour de cette nouvelle année introduisait une nouvelle façon de vivre puisque la vie devenait, à partir de ce moment, définitive. Il y a de quoi s'alarmer face à cette Camarde qui ne remplit plus son macabre office alors que les animaux eux, continuent de mourir et qu'à l'extérieur des frontières de ce fabuleux pays on continue normalement de payer son tribut à Thanatos ! Y aurait-il deux poids et deux mesures dans ce grand chambardement ?
Alors face à cela, les philosophes se mirent à philosopher, les religieux à organiser des prières pour que les choses reviennent un ordre plus classique et les habitants des régions frontalières à transporter leurs mourants de l'autre côté de la frontière, là où le monde ressemblait encore à quelque chose. C'est là qu'entre en jeu la « maphia »(avec « ph » pour la différencier de l'autre) qui va organiser, avec l'aval du pouvoir, un peu mieux ces choses qui ne vont décidément plus. Pourtant, cela n'est pas sans poser quelques problèmes diplomatiques, militaires, enfin des difficultés humaines avec leur lot d'exagérations de volonté de tirer partie d'une situation nouvelle et lucrative...
Heureusement, après une année de grève, la Grande faucheuse décide de reprendre du service ce qui bouleverse un peu les toutes nouvelles habitudes prises. Pire, elle éprouve le besoin d'avertir chacun de son décès par lettre personnelle de couleur violette (y a-t-i une symbolique dans cette couleur qui n'est pas le noir ?). Las l'une d'elle, adressée à un violoncelliste solitaire, revient, refusée par son destinataire, et ce trois fois de suite !
Avec un certain humour, il croque cet homme dans son quotidien, fait allusion à cet échec surréaliste de la mort, évoque l'improbable dialogue de la Camarde avec sa faux à qui elle confie ses doutes, ses hésitation face à ce cas de résistance, déplore le retour par trois fois (y a-t-il là une symbolique ?) de ces missives macabres et annonciatrices qui peuvent parfaitement figurer l'ultime combat du malade face à sa fin ?
Avec son habituel sens de la dérision, il évoque Dieu autant que « l'instant fatal » nécessairement solitaire, va jusqu'à parler directement avec la mort, la tutoyer comme si elle lui était devenue familière, la tourner en dérision avec gourmandise, lui faire abandonner son triste linceul pour lui prêter les traits d'une jolie femme élégamment vêtue [à l'inverse de Proust qui la voyait comme une grosse femme habillée de noir], la réintègre dans ce pays imaginaire allant à la rencontre du fameux violoncelliste qui refuse de mourir, filant à l'envi son interminable fable...
Saramago s'en donne à cœur joie dans cette cour ou le Père Ubu mène la danse. Dans sont style goguenard habituel, parfois difficile à lire et déroutant dans la construction de ses phrases et son habitude de se jouer des majuscules, l'auteur pratique les digressions pour le moins fantaisistes et philosophiques. Quelle sera l'épilogue de cette fable? Quel rôle joue véritablement l'auteur ? L'écriture est-elle, comme souvent, un exorcisme ? Est-ce pour lui une façon de se moquer de la mort ou de s'y préparer ?[roman paru en 2005 - Disparition de l'auteur en 2010 après une longue maladie ]. L'auteur nourrit-il par ce roman le fantasme inhérent à la condition humaine qu'est l'immortalité ? Veut-il rappeler à son lecteur que, même mort, un écrivain continue d'exister à travers ses livres ? Autant d'interrogations...
J'ai retrouvé avec plaisir cet auteur qui traite d'une manière originale mais aussi sérieuse les problèmes de l'humanité, promène son lecteur attentif et curieux de l'épilogue dans un univers décalé qui lui fait voir autrement les choses... même si ce n'est pas vrai, mais c'est l'apanage des romanciers que de redessiner le monde avec des mots !
* Prix Nobel de littérature 1998.
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