la feuille volante

LES DIABOLIQUES- Jules BARBEY-D'AUREVILLY.

N°720 – Janvier 2014.

LES DIABOLIQUES- Jules BARBEY-D'AUREVILLY.

 

Il s'agit d'un recueil de six nouvelles[originellement elles devaient être au nombre de dix] paru tardivement en 1874 et écrit par Jules Amédée Barbey d'Aurevilly [1808-1889], aristocrate normand, homme de Lettres mais aussi polémiste, poète, journaliste, dandy et critique littéraire. S'il eut parfois la plume dure, notamment contre le réalisme, le Parnasse et le naturalisme, il réhabilita Balzac, fit découvrir Stendhal, défendit Baudelaire, Flaubert, Gautier et Huysmans. Il fut un personnage flamboyant et un écrivain d'un indéniable talent (il est surnommé « le Connétable des Lettres »), original, volontiers provocateur et séducteur mais pourtant profondément catholique ; il a influencé nombre de grands auteurs.

Dès sa publication le recueil est saisi et son auteur poursuivi pour outrage à la morale et aux bonnes mœurs, le même destin que Baudelaire quelques années plus tôt ! Sur intervention de Gambetta il évite le procès et l'affaire se termine par un non-lieu. Retiré de la vente l'ouvrage sera réédité en 1883. C’est que le livre dérange et fait scandale comme d'autres œuvres du même auteur.

 

Les femmes sont au centre de ce recueil et elles sont énigmatiques et quasiment irréelles. Pleine de non-dit, la chute des textes est elle-même brève et parfois même bizarre ce qui laisse le lecteur assez dubitatif et peut-être sur sa faim ou parfaitement libre d’imaginer ce qu’il lui plaît, c'est selon ! Les thèmes (l'amour, la vengeance, la rancune, le meurtre, l'adultère) distillent un univers scandaleux et en parfaite opposition avec le catholicisme de l'auteur. Ce n'est d'ailleurs pas là le moindre des paradoxes qui émaillèrent sa vie. Il reste que l'analyse psychologique des personnages est pertinente, l'écriture est somptueuse particulièrement dans les descriptions, précise dans les détails, pointilleuse sur la grammaire et le vocabulaire. Sa culture est particulièrement riche, la faconde est exceptionnelle, délicatement surannée comme on savait le faire au XIX° siècle, romantique, avec une technique de narration à double détente fort originale, même si, avec ces détours et ces détails le lecteur se perd un peu.

 

Énigmatique en effet cette jeune Alberte du « Rideau Cramoisi » et son attitude face à ce jeune sous-lieutenant tout comme celle de ses vieux parents, mystérieuse la mort de cette jeune fille et tout aussi étrange la vision qu'à eu le vicomte de Brassard face à ce rideau revu si longtemps après cette aventure. Était-ce un fantôme ou la véritable Alberte bien vivante ?

Dans « Le plus bel amour de Don Juan », Barbey met en scène deux narrateurs, le premier parle du comte Ravila de Raviles qui lui-même lui a raconté un curieux souper que lui offrirent douze de ses anciennes maîtresses. Ce même processus narratif intervient dans « Le bonheur dans le crime »où le docteur Torty raconte au narrateur l'histoire étonnante du comte et de la comtesse Serlon de Savigny qu'ils viennent de croiser. Il évoque le scénario diabolique mais génial, inventé par le couple pour se débarrasser de l'ex-épouse du comte et ainsi convoler en justes noces, et surtout sans aucun sens de la culpabilité. Ce détail est assez étonnant sous la plume du très catholique Barbey mais souvenons-nous qu'il traite ici un de ses thème favoris : l'hypocrisie et le mensonge !

Dans « Le dessous de cartes d'une partie de whist » c'est un premier narrateur qui rend compte d'une partie de cartes à laquelle il n'a pas personnellement assisté. Pour autant ce sont bien deux femmes, la comtesse du Tremblay de Stasseville et sa fille Herminie qui sont énigmatiques dans la mesure où elles traversent ce récit comme de véritables fantômes. Barbey met l'accent sur le mystérieux joueur de cartes qu'est Marmor de Karkoël, connu comme « le dieu du chelem » et de la complicité qui peut exister entre lui et ces deux femmes avec qui il a sûrement une liaison amoureuse. Il insiste ici sur le côté diabolique de cet homme, son apparent détachement et sur le subtil poison qu'il a ramené des Indes et qui a sans doute servi à tuer les deux femmes. En effet il disparaît comme il était venu, mais seulement après avoir délester tout ce petit monde de désœuvrés de leur argent, un peu comme s'il avait ensorcelé ses victimes. L'auteur met l'accent sur la vie dépravée de cet homme autant que sur l'hypocrisie de la comtesse et son silence et l'absence de remords sur le cadavre d'un petit enfant qu'on trouve chez elle après sa mort. Les protagonistes principaux de cette nouvelle parlent peu (Whist signifie le silence en anglais) et c'est bien le silence de la comtesse et donc son absence de repentir face à la mort dont Barbey veut ici nous entretenir.

Dans « A un dîner d'athées » c'est l'adultère qui est le thème central. Lors d'un dîner d'anciens, un narrateur évoque la mémoire de Rosalba, la femme légère d'un soldat, le major Ydow, tombée enceinte des œuvres d'un autre soldat, le capitaine Mesnilgrand, mais après sa naissance l'enfant meurt. Ydow est fou de douleur mais quand il apprend le trahison de sa femme jette le cœur de son enfant qu'il avait embaumé. Mesnilgrand le sauve de la destruction en le confiant à l'église. Par ce geste Barbey oppose une forme d'amour paternel à l'adultère féminin

Avec « La vengeance d'une femme » l'auteur met en scène une prostituée qui exerce une fascination particulière sur Trésignies qui l'a rencontrée dans la rue. Ce jeune dandy a pourtant l'impression qu'il la connaît et la suivant il s'aperçoit qu'il s'agit de la duchesse de Sierra-Leone qui exerce ainsi une vengeance contre un mari qu'elle n'aime pas. Elle a en effet été amoureuse d'un cousin du duc qu'elle lui a suggéré d’éloigner pour éviter l'adultère. Devant le refus de son mari, c'est plutôt une relation platonique qui l'a liée à son amant mais, fou de jalousie son mari le fait exécuter. L'épouse demande à mourir avec lui mais le duc refuse et donne le cœur de l'homme à manger aux chiens. Sa vengeance sera donc de se prostituer, c’est à dire de salir l'honneur de ce mari qu'elle n'aime pas. Elle meurt d'une maladie vénérienne.

 

Dans « Les diaboliques » Barbey nous donne à voir une facette de l'espèce humaine bien peu reluisante et il n'échappe pas au lecteur qu'il la présente plus volontiers à travers les femmes, à l'exception peut-être de « la vengeance d'une femme ». Il jette sur son époque un regard sans complaisance même s'il choisit pour cela une catégorie de la société qu'il connaît bien. Barbey en tout cas, dans son personnage comme dans son talent ne laisse personne indifférent. Parmi les nombreux avis, j'en retiens quelques uns, à mon sens assez caractéristiques. L'un d'eux exprimé dans « Le Gaulois » sous la plume de E.Moriac le présente comme « un homme et un livre étonnants »définissant l'auteur « mi-parti mondain et religieux, un mélange de l'enfer et du ciel, ce qui en fait un écrivain diaboliquement religieux et religieusement diabolique », et de caractériser ce recueil comme « un des livres les plus originaux de notre époque ». Sainte-Beuve a parlé d' « un homme d'un talent brillant et fier, d'une intelligence haute et qui va aux grands » d' « une plume de laquelle on peut dire sans flatterie qu'elle ressemble à une épée ».

 

©Hervé GAUTIER – Janvier 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com

 
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