La tresse
- Par hervegautier
- Le 10/01/2024
- Dans Laetitia Colombani
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N°1816 – Janvier 2024.
La tresse – Laetitia Colombani – Grasset.
Le livre refermé, je suis partagé à la suite de cette lecture et ce malgré tous les compliments qui ont été formulés à son sujet. C’est un premier roman et à ce titre, j’y suis toujours attentif d’autant qu’il est bien écrit et qu’au fil des pages j’ai vraiment été pris par l’histoire et j’ai eu très envie d’en connaître la fin. L’écriture est un vrai travail qu’il convient de respecter, c’est, au-delà des mots, à la fois un plaisir et une souffrance parce qu’on ne décide pas d’écrire par hasard et qu’on met dans cet exercice toujours un peu de soi-même.
A partir d’une perruque qui est devant elle, l’auteure nous conte l’histoire qu’elle imagine derrière ce postiche, celle de trois femmes courageuses qui ne se connaissent pas, ne se rencontreront jamais, qui appartiennent à des catégories sociales bien différentes, qui habitent sur des continents différents mais qui pourtant sont liées sans le savoir par des cheveux. La symbolique de la tresse prend ici tout son sens, celui de la chevelure aussi qui est en occident, un des symboles de la beauté et de la féminité, en Sicile celle du travail des femmes qui transforment cette « matière première », et en Inde celle de l’unique richesse des pauvres.
Smita est une intouchable, une Dalit, dont le travail, depuis des millénaires, est de ramasser la merde des autres. Elle veut que sa fille Lalita sorte de cette caste et pour cela elle préconise l’éducation et, s’échappant symboliquement de leur village, elles font ensemble le sacrifice de leur chevelure à Vishnou, mais il y a fort à parier que ce sacrifice, même s’il est fait dans un cadre religieux fervent, restera du domaine de l’illusion. Je suis un béotien dans la domaine des sectes hindoues mais il me semble que pour les Dalits comme Lalita, même si leur sort s’est amélioré notamment depuis l’indépendance, même si de rares personnalités ont réussi a s’en émanciper, il me semble qu’il lui sera difficile voire impossible de sortir de sa caste. Giulia, la Sicilienne, sauvera peut-être l’entreprise familiale de fabrique de perruques grâce à l’achat des cheveux offerts par les Hindous à leur dieu, et donc symboliquement ceux de ces deux femmes, mais rien n’est sûr. Sarah, est une brillant avocate canadienne atteinte d’un cancer qui a tout sacrifié pour son métier mais qui, une fois sa maladie révélée, se voit lâchée par ses collègues de travail parce que la société dans laquelle elle vit ne connaît que la réussite, la jeunesse, l’efficacité. Elle retrouvera peut-être confiance en elle et en l’avenir grâce l’achat d’une perruque mais sa sacro-sainte carrière sera sacrifiée. Même si elle a recours à la chirurgie, même si son état de santé s’améliore, sa vie sera toujours impactée par ce mal. Ainsi ai-je eu un peu de mal à partager la conclusion de l’auteure malgré tout l’espoir qu’elle suscite.
Un roman c’est souvent de la fiction et même si ici les faits relatés empruntent beaucoup à la réalité de ces femmes, aux circonstances de leur quotidien, cela ressemble un peu trop à un « happy end » si absent de la vraie vie. Face à cette condition humaine l’amour ne pèse rien, les larmes, les illusions, la chance, les bons arguments logiques et salvateurs, Dieu et ses miracles, les encouragements stériles et hypocrites des autres, les sacrifices personnels non plus, mais la vie continue et avec elle cette solitude prégnante, cette volonté constante de l’homme de détruire son prochain, pour prendre sa place et réussir à son détriment, ou pour le détruite simplement et se prouver ainsi qu’on existe.
Je reconnais volontiers à ce roman une riche documentation notamment sur l’Inde, son mode de vie, son organisation, ses croyances. On entend dire que c’est la plus grande démocratie du monde, peut-être, mais j’ai du mal à y croire notamment en ce qui concerne les disparités sociales, le système des castes et le sort qui est fait aux femmes, aux veuves en particulier. Je veux bien croire à la belle histoire d’amour de Giulia, a sa volonté de garantir du travail à ses ouvrières et ainsi à sauver son entre mais quant à ce qui arrive à Sarah, en plus de la solitude et l’abandon de la part de ses collègues, de la maladie, de la chimio, de la calvitie, de l’ablation d’un sein, je l’ai surtout lu comme une étude sans concession sur ce qu’est la vie au travail, sur le destin qu’on ne choisit pas et auquel on n’échappe pas.
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