Des hommes
- Par hervegautier
- Le 19/04/2023
- Dans Laurent Mauvignier
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N°1736 – Avril 2023
Des hommes – Laurent Mauvignier – Les éditions de Minuit.
Peut-on oublier la guerre, celle qu’on a faite à vingt ans sans vraiment le vouloir.
Le narrateur qui est le cousin de Bernard, du même pays et de la même classe que lui, évoque l’histoire personnelle de ce dernier, la conscription des années 60 qui a arraché à leur terroir boueux qu’ils n’avaient jamais quitté des jeunes gens à peine sortis de l’adolescence pour les précipiter dans la guerre du djebel. Il raconte le traumatisme subi par ces petits gars de la campagne qui découvrent certes un pays, un climat et des gens qu’il ne connaissent pas, apprennent l’ennui et les corvées des longues journées de caserne mais surtout le dégoût de la violence perpétrée contre les populations civiles, l’horreur des combats et des exécutions, la trahison, la peur du danger, des attentats et de la mort, au bled comme en ville, le devoir de tuer si on ne veut pas perdre la vie, la trouille qu’on appelle aussi le courage. Ils doivent défendre le territoire parce que là aussi c’est la France. Libéré après de longs mois Bernard revient en métropole, rompt avec sa famille, tente de refaire sa vie loin d’elle, avec femme et enfants mais revient longtemps après dans son village comme SDF alcoolique et marginal. Les vielles histoires de famille reviennent longtemps après avec des conséquences inattendues et une banale fête d’anniversaire va faire ressurgir tout ce passé qu’on croyait oublié.
Cette guerre d’Algérie que l’auteur n’a évidemment pas faite revient dans son œuvre comme un leitmotiv oppressant et accompagne la figure muette de son père. Cela a traumatisé toute une génération de jeunes gens envoyés là-bas et dont certains ne sont jamais revenus, et tout cela pour rien, pour un pays perdu d’où ont été expulsés tant de « pieds-noirs » trahis par les hommes politiques, on a sacrifié des harkis qui avaient pourtant fait le choix de la France, trompé ceux des arabes qui avaient combattu pour la France et qui ne seraient jamais Français, déconsidéré l’armée française dont certains membres se sont rebellés parce qu’ils se sont considérés comme trahis et parce qu’elle a commis la-bas les mêmes crimes dont les nazis s’étaient rendus coupables pendant la 2° guerre mondiale en métropole, répondant aux massacres de l’autre camp, cette même armée qui refusa, parce que les ordres étaient ainsi, de protéger les Français contre les massacres perpétrés par les Algériens. Pour ces jeunes gens, le service militaire effectué dans ces conditions est plus qu’un rite traditionnel de passage vers l’âge adulte, c’est une blessure indélébile pour ces jeunes devenus des hommes. Leur longue absence a parfois fait basculer leurs projets les plus intimes. Il reste de vieilles photos jaunies, des visages oubliés, l’espoir de la quille libératrice, des odeurs, de rares permissions, du soleil, de sales souvenirs liés à la mort dont il ne parle pas, un fort sentiment de révolte contre les ordres donnés qu’il faut exécuter, la culpabilité d‘avoir survécu que toutes les vaines prières n’effaceront jamais, une page qui trouble même le sommeil et qu’on ne tournera vraiment jamais parce qu’on ne peux même pas en parler, qu’on camoufle mal sous de folkloriques banquets d’associations d’anciens d’AFN, de médicaments ou d’alcool.
Le style est volontairement haché, brut, des phrases parfois inachevées, déstructurées où les silences le disputent à avalanche des mots, comme s’ils avaient été trop longtemps tus...
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