LE CIMETIERE DES BATEAUX SANS NOM
- Par hervegautier
- Le 24/03/2014
- Dans Arturo PEREZ-REVERTE
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N°735 – Mars 2014.
LE CIMETIERE DES BATEAUX SANS NOM – Arturo Pérez-Reverte – Le SEUIL.
Traduit de l'espagnol par François Maspero
Coy, trente huit ans, ancien officier en second de la marine marchande, suspendu pour 2 ans à cause d'une erreur de navigation, erre dans Barcelone. Le voilà « sac à terre » malgré lui, marin sans navire, l’inaction le mine et il est à la recherche de n'importe quel travail pour survivre. Il est même un peu perdu à terre et règle sa vie à coup de lois pittoresques et sibyllines du genre LRDRH (Loi des rencontres qui ne doivent rien au hasard) Parce qu'il aimait les ventes aux enchères d'objets nautiques, il se retrouve dans un hôtel des ventes à Barcelone et y croise une femme belle et énigmatique, Tanger Soto, qui enchérit pour obtenir un vieil atlas maritime. Il tombe sous son charme et va jusqu'à Madrid pour la retrouver. Rien ne se passe comme prévu malgré tous ses fantasmes amoureux, il ne la séduit pas, enfin pas tout de suite mais se trouve engagé dans une quête que la jeune femme mène depuis longtemps. Il s'agit de retrouver la trace d'un brigantin, le « Dei Gloria », coulé en 1767 au sud de l'Espagne. Cela tombe plutôt bien puisqu'il connaît la navigation et qu'il a plongé, quelque vingt ans plus tôt sur cette côte. Cette jeune femme sait aussi que la recherche des herpes marines commence par la fréquentation des musées, des bibliothèques et par l'étude minutieuse des archives. Coy imagine une chasse au trésor d'autant plus facilement que cette épave semble intéresser nombre d'individus pas toujours recommandables auxquels il se trouve confronté et ces rencontres ne doivent effectivement rien au hasard. Il s'aperçoit très vite que cette course poursuite est pleine de dangers mais le charme de Tanger, l'attrait de l'inconnu et la fièvre de la recherche sont les plus forts.
Il songe bien sûr à un trésor mais il ne tarde pas à apprendre que la cargaison du navire n'était composée que de coton, de tabac et de sucre, rien qui supporte vraiment un séjour dans l'eau de mer de deux siècles et demi ! C'est plutôt un mystère qui entoure cette épave, quelque chose qui ressemble à une fièvre de l'or qui gagne peu à peu Tanger et Coy. Ce qui intrigue le plus, et évidemment complique la recherche, c'est son itinéraire (parti d'Espagne, il est allé en Cuba puis, au retour, a été coulé au large de Cadix par un corsaire), le fait qu'il appartienne en réalité aux jésuites qui ont ensuite été expulsés d'Espagne par Charles III et que le manifeste d'embarquement retrouvé aux archives mentionne la présence à bord de deux passagers en indiquant seulement leurs initiales. Pour être des hommes d’Église dédiés à la prière et à l'évangélisation, ils étaient aussi des hommes d'affaires avisés et parfaitement capables de défendre par la corruption la survie de leur ordre mais aussi des hommes de secret. Le narrateur qui est aussi cartographe donne son avis sur le positionnement du navire naufragé : il est à la fois logique et original. Il ne fait pas non plus de doute dans l'esprit de Tanger que la disparition de ce bâtiment est intimement lié à l'expulsion des jésuites d'Espagne. Elle possède un esprit à la fois intuitif et logique. Comme rien n'est simple, il faut, pour déterminer avec exactitude le lieu du naufrage, tenir compte des nombreux méridiens de référence au XVIII° siècle qui permettaient de faire le point, des différentes cartes en usage à l'époque, des des courants marins... C'est là que l'atlas acheté à Barcelone prend toute son importance. Il faut aussi s'intéresser au corsaire qui l'a coulé, le « Chergui » et qui sombra aussi lors de ce combat naval. Là non plus ce fait ne semble pas laisser une grade place au hasard et ce d'autant plus que les mystères se multiplient et que le lecteur attentif n'est pas au bout de ses surprises ! C’est que, une fois sur place, l'affaire est hasardeuse et surtout risquée compte tenu des autres intéressés, de leur manque de scrupules et surtout que l'épave n'est pas au rendez-vous. Tanger dépend maintenant de Coy et du Pilote, véritable techniciens de l'expédition mais l'échec omniprésent continue de hanter les esprits et des surprises sont toujours possibles !
Sur ce récit plane la beauté fascinante de cette femme, le dévouement de Coy, d'autant plus grand qu'il est nourri par ses propres fantasmes amoureux et sa patience [« Je veux compter ses taches de rousseur...Elle en a des milliers et je veux les compter toutes une à une en le parcourant du doigt comme si c'était une carte marine. »] pour ne pas dire son attachement aveugle. Elle se sert de lui mais il ne s'en rend pas compte ou plutôt se met volontairement à sa disposition, négligeant à l'occasion ses propres intérêts, aveuglé qu'il est par cette jeune femme. Le mystère s’épaissit pour le lecteur au fur et à mesure qu'il tourne les pages et c'est un peu le hasard, encore lui, qui gouverne cette affaire puisque ce qui n'était au départ qu'un travail universitaire de Tanger suivi d'un concours pour entrer au Musée Naval de Madrid et d'une rencontre dans ce contexte avec un chasseur d'épaves pour que cela devienne pour la jeune femme « le rêve de toute une vie » et, malgré la législation en vigueur, elle considère que ce bateau lui appartient. Tout au long de ce roman Tanger apparaît froide, déterminée, uniquement préoccupée par son but alors que Coy n'a d'yeux que pour elle. Elle applique cette maxime en forme d’aphorisme, « Je te mentirai et je te trahirai », bien connue et bien souvent oubliée qui gouverne les relations entre les hommes (et aussi les femmes) mais avoue à Coy « J'ai peur de mourir dans le noir, seule » . C'est une partie de poker-menteur entre Tanger et Palermo autour de cette épave puisque chacun possède des atouts et fait croire à l'autre qu'il en a davantage. C'est aussi un rapport de force entre Tanger qui ne veut pas lâcher son idée et le pauvre Coy parfois un peu trop impulsif et prompt à la bagarre surtout quand il s'agit d'elle. Surtout que lui et le Pilote doutent de plus en plus. En effet, les rebondissements ne manquent pas dans cette quête un peu folle pas davantage d'ailleurs que la galerie de portraits assez pittoresques qui nous est offerte.
Arturo Perez Reverte n'est pas un inconnu pour cette chronique (La Feuille Volante n° 384-385-387-390) Cette fois, j'avoue que j'ai été un peu perdu dans les détails techniques de la navigation mais, comme toujours, je salue ici l'érudition de l'auteur, notamment en matière de langage maritime ; son travail d'historien et d'archiviste autant que son style (servi sans doute par une bonne et fidèle traduction), son sens du suspense tiennent en haleine son lecteur jusqu'à la fin. Le récit réserve des descriptions poétiques et émouvantes, des évocations dramatiques qui consacrent une nouvelle fois (en était-il besoin?) le talent exceptionnel de cet écrivain.
Comme toujours cela a été pour moi un bon moment de lecture.
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©Hervé GAUTIER – Mars 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com
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