La nature exposée
- Par hervegautier
- Le 15/04/2018
- Dans Erri De Luca
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La Feuille Volante n° 1236
La nature exposée – Erri de Luca – Gallimard.
Traduit de l'italien par Danièle Valin.
Le livre refermé, je suis assez interrogatif sur cette histoire qui en fait en comporte plusieurs. On met en scène un narrateur qui a été mineur, qui est actuellement alpiniste et sculpteur. Il vit dans un petit village de montagne où il aide ceux qui veulent passer la frontière mais le fait bénévolement, ce qui attire l'attention des médias et, pour rester lui-même, il déménage et s'installe au bord de la mer. On lui propose de restaurer un christ grandeur nature, à l'origine sculpté nu, parce que c'était l'usage chez les Romains pour une ultime humiliation du condamné, mais l’Église avait demandé d'ajouter un pagne pour cacher « la nature » du crucifié, même s'il est évident que, le travail de reconstitution effectué, tous les regards convergeront sur cet endroit. Pour lui qui n'est qu'un artisan, c'est comme un hommage à celui qui a signé cet authentique chef-d’œuvre digne de la Renaissance. C'est que le travail est délicat, non seulement il faut précautionneusement ôter ce qui a été ajouté sans détériorer le corps du Christ, mais surtout il doit reconstituer le sexe en lui imprimant une érection qui est l'ultime signe de la vie face à la mort. C'est non seulement pour lui l'occasion d'étudier l'anatomie du corps humain, la tension des muscles, le frissonnement de la peau et les vaisseaux sanguins apparents au moment de la crucifixion, mais aussi d'accompagner cette étude de méditations sur les textes sacrés, l’Évangile et la Bible, de revisiter les mythes religieux et de rencontrer un rabbin, un curé et un lecteur du Coran. Il y a cette histoire certes originale mais qui est l'occasion d'une démarche religieuse pour le narrateur, la circoncision qu'il adopte pour s'identifier au personnage, la fusion du sang de Saint Janvier, rapproché de la lave que pourrait un jour vomir le Vésuve, la statue du saint patron de Naples qu'il visite également, comme un exorcisme contre les fureurs du volcan. Ce texte recèle sa part de mystères dans les inscriptions qu'ils trouve sur la statue et qui ont une dimension hébraïque. C'est aussi une sorte de combat contre lui-même avec le souvenir de son frère jumeau mort longtemps avant lui et qu'il fait revivre par la pensée dans une sorte de compagnonnage. Je ne sais si j'ai bien compris, mais j'ai vu une allégorie littéraire, celle de la création artistique en général, dans le refus de la statue de se laisser greffer cette nouvelle « nature ». Il faut, pour qu'elle l'accepte, que le narrateur fasse preuve de simplicité naturelle qui était la sienne auparavant. Écrire c'est aussi respecter cet état d'humilité face au néant de la feuille blanche. Est ce à dire que la nudité que finalement il adopte, la même que celle de la statue, lui confère cet état ? Et un écrivain est aussi un « passeur », comme le narrateur.
Il y a aussi une histoire d'amour et on peut penser qu'elle est inévitable dans un roman. Il semble que son aura l'ayant précédé, le narrateur expérimente sans le vouloir le principe de séduction qui fait qu'un homme tranche sur ses contemporains, pas vraiment différent mais pas vraiment semblable et attire l'attention des femmes. Celle qui s'attache à ses pas le fait d'une manière inattendue. C'est, vers la fin, une sorte d'énigme quasi-policière qui vient se greffer sur l'intrigue principale, une passade entrecoupée d'absences et qui se terminera dans la montagne et dans la solitude, avec la mort d'un homme inconnu, faisant jaillir une foule de questions. Doit-on y voir une allégorie opposant la vie d'un amour de chair à celui d'un amour divin? Doit-on voir la montagne comme un symbole de la mort solitaire, celle de cet homme inconnu, comme celle du sculpteur du christ nu, le thème du voyage étant lui-même très présent à travers le personnage du narrateur et de la femme.
J'ai retrouvé avec le même plaisir la fluidité du style poétique et dépouillé de de Luca, cette sorte de façon d'écrire qui transporte son lecteur dans un univers particulier, à la fois connu et inconnu.
© Hervé GAUTIER – Avril 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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