MONTEDIDIO – Erri de Luca
- Par hervegautier
- Le 22/09/2010
- Dans Erri De Luca
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N°456 - Septembre 2010
MONTEDIDIO – Erri de Luca - Éditions Gallimard.[Prix Fémina étranger 2002]
(Traduit de l'italien par Danièle Valin)
Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai un attachement particulier pour les romans d'Erri de Luca, à cause du style simple servi par une traduction fidèle et qui me parle assurément.
Montedodido est situé sur une colline, un quartier pauvre de Naples dans les années 50. C'est une ville grouillante de vie qui est posée à côté d'un volcan qui peut lui apporter la mort. Le narrateur lui adresse un véritable chant d'amour. Il y décrit sa famille, fils unique d'un docker, il travaille comme apprenti chez un menuisier, mast'Errico, qui dit que « chaque journée est une bouchée ». Pour l'enfant qu'il est encore et qui n'a encore de treize ans, le salaire qu'il rapporte chez ses parents lui donne à penser qu'il est presque un homme. Le « boumeran » que lui offre son père est plus qu'un jouet et, comme il manque de place pour le lancer parce que les ruelles sont étroites, il s'entraine pour le jour où il aura assez d'espace pour le faire voler. Il parle de Rafaniello, un cordonnier juif, bossu et un peu naïf qui apprend les choses en songe et qui s'est arrêté à Naples par hasard sur la route de Jérusalem. Il croit que sous sa bosse se cachent des ailes d'ange qui vont l'aider à terminer son voyage vers la Terre Sainte en volant vers elle. C'est lui aussi qui apprend à l'enfant à rire de tout. Le narrateur rencontre aussi Maria, sa jolie voisine qui est attirée par lui, dit qu'ils sont fiancés et se donnent des rendez-vous, finissent par vivre ensemble...
Le narrateur qui parle le napolitain [« (langue) très à l'aise dans l'insolence »]mais apprend l'italien pour mieux raconter cette expérience de vie qu'il écrit en secret sur un rouleau de papier.
C'est un roman chronologique aux accents autobiographiques (ou plus exactement une auto-fiction, c'est à dire un récit où la pudeur de l'autobiographie se mêle intimement au merveilleux de la création. On s'inspire des choses faites et vues en les transformant au gré de son imagination et de sa volonté de refaire le monde à sa convenance) de transition entre l'enfance et l'âge adulte symbolisé par ce « boumeran » venu d'ailleurs et qu'il finira par lancer comme lui s'envolera vers la vie. Le temps qui passe est aussi noté par la voix du garçon qui mue, son corps qui affermit ses muscles (tous ses muscles), celui de Marie qui peu à peu devient femme et s'épanouit à l'éveil de la chair et de l'amour, la folie de Rafanielo (Il y a un parallèle entre le vol du « boumeran » et le futur essor de Rafanielo pour la Terre Sainte, véritable terre promise), l'évolution de la maladie de sa mère puis sa mort. C'est une seconde naissance à la vie, incarnée par la fête de Noël. A partir de là tout change (« à Naples, on grandit vite ») Comme souvent chez de Luca, ce passage se fait par les femmes. Ici, c'est Maria, mais c'est aussi sa mère malade.
Il y a aussi une naissance à l'écriture. Le narrateur jeune et parlant tout juste la langue nationale qui est nouvelle pour lui, choisit de faire le récit de tout cela sur un rouleau de papier (ici il n'y a pas de feuille éparses (volantes?) mais le déroulement continu d'un texte sur un support sans fin apparente (« Même le rouleau tourne plus vite, tiré par le poids de la partie écrite »). L'écriture qui sera plus tard sa véritable raison de vivre se régénère elle-même.
Ce récit qui se termine comme une fable est une peinture des petites gens pleine d'authenticité, de complicité et d'émotion. L'auteur écrit cela avec une grande économie de mots et un style dépouillé et poétique. Je ne me lasse pas de lire cet écrivain au parcours exceptionnel et à la langue envoûtante de simplicité.
© Hervé GAUTIER – Septembre.http://hervegautier.e-monsite.com
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